Aléas climatiques : comment rendre les villes plus résilientes ?

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Avec le programme Room for the River, les Pays-Bas ont restauré le lit naturel de quatre cours d’eau pour lutter contre les inondations, protéger l’environnement et permettre le développement de l’habitat sur l’eau.

Urbanisation
Décryptage
Durée de lecture : 4 min 4 min
30/08/2023

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Inondations, canicules, tempêtes, cyclones, incendies… Le réchauffement climatique augmente la gravité et la fréquence des événements extrêmes. Pour en atténuer l’impact, architectes et urbanistes sont confrontés à un double défi : adapter bâtiments et quartiers pour une meilleure résilience des villes et contribuer massivement à la réduction des gaz à effet de serre (GES) liés à la construction.

Dans son rapport de synthèse* paru en mars 2023, le GIEC rappelle les différents scénarios de réchauffement en cours et les trajectoires à suivre. Ainsi, pour atteindre un taux d’émission net nul d’ici à 2050 et maintenir l’objectif d’une hausse de la température mondiale sous les 1,5 °C, les émissions de CO2 doivent être réduites de 99 % d’ici à 2050. Il y a urgence ! Les conséquences de ce réchauffement sont déjà là. L’actualité récente fourmille d’exemples : la tempête Alex en France, début octobre 2020, le cyclone Freddy à Madagascar en février 2023, ou encore la « bombe cyclonique » à San Francisco début janvier 2023. Toujours selon le groupe d’experts, si l’urbanisation induit potentiellement des émissions, la densité de population est aussi une opportunité pour améliorer l’efficacité des ressources et décarboner à grande échelle. Pour les acteurs de l’urbanisme et de la construction, la réponse est dans le couplage des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. À condition de jouer sur les bons leviers.

À Singapour, l’utilisation d’une eau recyclée permet de rafraîchir des parties de la ville sans dommage pour l’environnement.

Rafraîchir les villes

L’adaptation des villes au climat futur est inévitable. Comment parer la surchauffe, notamment lors des épisodes de canicule ? Les pistes sont nombreuses : repeindre les toits en blanc pour réfléchir la chaleur, désimperméabiliser les sols, multiplier les ombrières, jouer sur tous les éléments naturels comme la végétation, l’eau, l’air… Stuttgart, en Allemagne, a montré la voie dès les années 1930 en établissant des couloirs d’air froid venant des collines vers la ville, pour la dépolluer et la rafraîchir. À La Possession, au nord-ouest de l’île de la Réunion, une stratégie aéroclimatique a été mise en œuvre pour un nouvel écoquartier. Certaines métropoles combinent les paramètres pour conserver la fraîcheur, telle Pékin, qui envisage de construire cinq couloirs de ventilation de plus de 500 mètres de large, et d’autres, plus étroits, reliant rivières, lacs, espaces verts et immeubles.

Renforcer la résilience face aux inondations

L’enjeu est de taille pour rendre les bâtiments, actuels et futurs, plus résistants aux phénomènes climatiques et limiter les pertes économiques. Face au risque d’inondations, les stratégies se diversifient. Au lieu de protéger l’habitat par des digues (approche « classique »), certains professionnels décident de « faire » avec l’eau. À Romorantin-Lanthenay (France), l’architecte Éric Daniel-Lacombe a conçu un quartier en pleine zone inondable. Les rues sont dessinées spécialement pour évacuer l’eau en cas de crue et les rez-de-chaussée des maisons sont inhabités en prévision des inondations. Même les Pays-Bas, qui ont conquis une grande partie de leur territoire « contre » l’eau, ont diversifié leur approche en 2007 avec le programme Room for the River de restauration du lit naturel des rivières couplé avec le développement de l’habitat sur l’eau.

À Romorantin-Lanthenay (France), un ensemble résidentiel conçu sur un ancien terrain industriel est protégé des risques d’inondation grâce à des bâtiments insubmersibles.

Réduire les émissions de GES liées au logement

C’est l’autre chantier tout aussi urgent : la contribution à la réduction des GES. Le premier enjeu est la baisse des consommations d’énergie des bâtiments par la rénovation thermique du parc public et privé et la résorption des passoires thermiques. Un chantier bien avancé en France du côté des bailleurs publics, qui montrent la voie : CDC Habitat, filiale de la Caisse des Dépôts, compte désormais moins de 1 % de son parc en étiquettes F et G, correspondant aux bâtiments les moins performants. Sur le neuf, le défi porte sur la généralisation des bâtiments à énergie positive (BEPOS), qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. La réglementation environnementale RE2020 joue le rôle d’aiguillon en fixant des paliers : en 2025, aucun logement collectif ne pourra plus recourir aux énergies fossiles. Constructeurs et promoteurs vont ainsi devoir trouver des alternatives : réseaux de chaleur et de froid, électricité décarbonée, recours aux pompes à chaleur et ventilations double flux… Autre volet important de la réduction des GES, la sensibilisation des habitants aux écogestes et la mise en place de systèmes intelligents pour permettre à chacun de piloter sa consommation.
Au-delà de la réduction des consommations d’énergie liées aux bâtiments, c’est bien sûr la globalité de l’impact carbone du bâti qui doit être prise en compte, dès sa conception. Diminuer cette empreinte suppose à la fois de privilégier les matériaux les plus vertueux (bois, béton bas carbone ou chanvre, paille, terre crue, brique de terre cuite, etc.), de construire plus léger, de réemployer les produits et matériaux et de les recycler en fin de vie.

Les vitrages haute performance sont capables de nous protéger contre les grandes chaleurs.

Réinventer les villes

La conception globale de la ville et de ses quartiers et les choix d’urbanisme pèsent également sur le bilan carbone du bâti, en rendant plus ou moins nécessaires les déplacements des habitants, premier secteur émetteur de GES. Le modèle de la ville sobre et durable s’impose. La Ville du quart d’heure, chère à l’urbaniste franco-colombien Carlos Moreno, permet à chaque habitant de disposer de tous les services essentiels à moins d’un quart d’heure à pied ou à vélo de distance. Une ville sobre foncièrement qui met fin à l’étalement urbain et à l’imperméabilisation des sols, et recycle les usines, bureaux et centres commerciaux en logements. Une ville donc inventive, qui favorise la réversibilité des bâtiments et la « chronotopie » : la multiplicité des usages d’un même lieu en fonction du temps.
Si l’ampleur des chantiers à mener peut donner le tournis à tous les acteurs de la construction, publics et privés, elle fixe une juste mesure de leur responsabilité et de leur capacité d’agir puisqu’une grande partie de la transition environnementale passe par le bâtiment et le logement.

Dans le nord de la France, le parking silo de la Plaine Images est mutable en espaces de bureaux . (Arch. de Alzua+ /Ekoa)
* La publication du rapport de synthèse du 6e Rapport d’évaluation du GIEC, le 20 mars 2023, sert de base au premier bilan de l’Accord de Paris, qui aura lieu lors de la COP 28 à Dubaï, fin 2023.

Crédits photos: © John McAdorey-Adobe Stock © Frans Lemmens-Alamy, © Sergii Figurnyi_ShutterStock, © edl-architecte, © Saint-Gobain Glass, © Sergio Grazia

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