Iyas Shahin et Wesam Al Asali d’IWLab (Syrie) : « Tout plaide pour un changement radical dans la pratique architecturale. »
« L’idée d’une révolution en architecture soulève des questions fondamentales : dans quel but ? pour qui ? contre qui ? quelles méthodes doivent être utilisées ? Ces questions mettent en lumière des enjeux cruciaux liés au pouvoir, aux droits, à la justice et à la responsabilité en architecture, ainsi que des problématiques liées à son impact environnemental. Si une révolution est un moyen de changer l’ordre établi, elle implique un éventail de tactiques allant de la négociation pacifique à la confrontation. Elle est intrinsèquement faite de frictions, d’oppositions. Elle suppose de l’endurance, mais avant tout, il s’agit d’un changement de perception.
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Une révolution en architecture ne signifie pas nécessairement une révolution pour l’architecture ; cela pourrait être une révolution contre elle. Par conséquent, en tant qu’architectes, nous devons nous demander si nos pratiques génèrent des synergies positives pour l’environnement et la société, ou si nos visions sont au contraire nuisibles.
Face à l’urgence des défis actuels, tels que le changement climatique, l’urbanisation et l’inégalité sociale, tout plaide pour un changement radical dans la pratique architecturale. La perte de confiance de la société dans la capacité de l’architecture à aborder les problématiques cruciales, à remettre en cause les pratiques fortement consommatrices de ressources et d’énergie, et à promouvoir de meilleures conditions de vie pour les communautés défavorisées prouve la nécessité d’un changement. De plus, intégrer les identités culturelles dans les pratiques architecturales et rendre l’architecture durable accessible à un plus grand nombre de personnes constituent deux autres éléments essentiels.
Impliquer les communautés dans la planification et la conception est crucial pour s’assurer que les projets répondent à de vrais besoins et respectent les identités locales. Ce changement pourrait nécessiter un renouvellement de l’éducation architecturale, en enseignant aux étudiants comment repenser l’impact de l’architecture. Une révolution en architecture n’est pas seulement un changement de styles ou de matériaux, mais une mutation profonde de la philosophie et de l’approche liées à son impact sur le monde. »
Marina Tabassum (Bangladesh) : « Nul besoin pour l’architecture de faire sa révolution. »
Nul besoin pour l’architecture de faire sa révolution. Nous devons plutôt chercher à sortir de l'amnésie induite par le consumérisme et nous aligner sur les valeurs d'une vie en symbiose avec la nature.
Andrés Jaque (Espagne / États-Unis) : « L’architecture est désormais une forme de dissidence face aux systèmes défaillants. »
« L’architecture n’est pas une question de bâtiments. Elle concerne la manière dont différentes entités (humains, briques, arbres, virus, air, pierres) s’imbriquent les unes dans les autres. La modernité est à l’intersection de l’extractivisme, de la carbonisation, de la colonialité, de la racialisation, des patriarcats, de l’anthropocentrisme, de la technocratie, de la militarisation et du capitalisme.
Tout cela est en train de se fissurer et d’échouer. Mais il y a de la vie dans ces failles, ce qui pourra faire émerger d’autres formes de vie. L’architecture est désormais une forme de dissidence face aux systèmes défaillants : plus qu’une révolution, la vie elle-même qui prospère dans les ruines de la violence et à partir d’elles. L’architecture est une nouvelle alliance trans-espèces, une affirmation d’un futur possible, qui dépasse la nature humaine. »
Ciro Pirondi (Brésil) : « L’architecture, en tant que discours sur les actions de l’Homme, est toujours en mouvement et en révolution. »
« L’architecture, en tant que discours sur les actions de l’Homme, est toujours en mouvement et en révolution, tout comme la vie. Ses souvenirs sont discontinus, ses changements sont lents, et en tant que forme spécifique de connaissance, elle fonde les changements mêmes des civilisations. Le passage de l’espace extérieur grec à l’intérieur romain s’est étalé sur cinq siècles. La coexistence des dimensions intérieure et extérieure de l’espace permise par l’utilisation de l’acier et du verre plat n’a eu lieu qu’au 19e siècle, instaurant une troisième vision révolutionnaire de l’espace architectural.
Au 20e siècle, la nouvelle conscience sociale et l’accroissement de la population urbaine ont engendré de nouveaux besoins, et de nouvelles imprévisibilités. Les mouvements sociaux, l’évolution de la place de la femme dans la construction de la société et les deux Grandes Guerres ont donné lieu à de nouveaux défis pour l’architecture et l’occupation des territoires.
Malheureusement, nos erreurs sont plus nombreuses que nos réussites. L’architecture, qui devrait toujours porter un discours de construction de la paix, n’a pas su concevoir et construire des espaces harmonieux. Dans les périodes violentes, nous détruisons. Nous polluons nos fleuves, nous dénaturons nos montagnes, nous brûlons nos forêts et nous tuons les civilisations qui occupaient ces lieux bien avant nous. Nous avons anéanti nos ancestralités.
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L’architecture produite, à de rares et honorables exceptions près, a été au service d’intérêts spéculatifs et prédateurs du territoire tout au long du 20e siècle. Les nouvelles technologies mises à disposition de l’inventivité des architectes ont généré des villes erronées, des espaces de ségrégation. Ils sont loin de favoriser l’échange et la coexistence, qui sont pourtant les objectifs premiers de la conception architecturale. Les matériaux que nous utilisons contribuent grandement à l’état actuel d’urgence climatique.
Nous entrons dans le 21e siècle munis d’une plus grande conscience écologique, convaincus de la fonction et de la responsabilité sociale de l’architecte. Nous tentons de trouver un dessin beau et harmonieux, entre la Nature originelle et la Nature construite. Récemment, nous avons commencé à comprendre qu’en tant qu’êtres humains, nous faisons partie de cette nature. La poussière cosmique qui constitue les étoiles existe aussi en nous. Lorsqu’il fait face à la page blanche, l’architecte contemporain est confronté à ces défis, encore insurmontables.
La découverte de la neurobiologie végétale a permis l’évolution du darwinisme, théorie selon laquelle l’espèce la plus forte s’adapte, survit, et prolifère. Pour Stefano Mancuso, neurobiologiste végétal, dans la nature, des champignons au règne animal et végétal, les espèces qui ont survécu au processus évolutif sont celles qui ont su partager et travailler avec une intelligence collective et collaborative. Cette nouvelle vision de l’Homme et du Monde exige que l’architecture du 21e siècle, à la différence des siècles passés, soit toujours plus sociale, écologique, collective, pluridisciplinaire et interactive avec l’utilisateur, public ou privé. Notre créativité sera encore plus belle et sublime si nous parvenons à agir ainsi. Je pense que c’est cette grande et urgente révolution que nous, architectes, devons apporter à l’architecture. Ces changements de paradigmes profonds et nécessaires commencent et se terminent dans la formation des nouvelles générations. Le projet pédagogique de nos écoles d’architecture doit être repensé dans cette direction, afin qu’elles deviennent le principal levier de ces transformations. »
Oser, transmettre, fédérer.Le Global Award for Sustainable Architecture™ a été fondé en 2006 par Jana Revedin, architecte et docteure en sciences architecturales et urbaines allemande. Chaque année, le prix récompense cinq architectes qui partagent les principes du développement durable et une approche architecturale participative des besoins de la société, tant dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud. Placé sous le patronage de l’UNESCO, le Prix mondial de l’architecture durable 2024 est soutenu par Saint-Gobain.
En 2024, un jury international composé de sept architectes a distingué cinq lauréats autour du thème Architecture is Education (L’architecture, c’est l’éducation)