Directrice du programme Énergie et bâtiments, C40 Cities.
En quoi la construction durable a-t-elle permis d’accélérer la transition énergétique des villes ?
I. S. : Les villes sont responsables d’environ deux tiers de la consommation d’énergie, imputable en grande partie à la construction de bâtiments. La construction durable est donc un élément essentiel de la transition énergétique, notamment grâce aux principes de l’architecture vernaculaire, à l’utilisation de matériaux à faibles émissions de carbone, à la construction de bâtiments à haute performance énergétique sans énergies fossiles, et à l’utilisation de machines et d’engins de construction zéro émission. Les citoyens doivent être au centre de la transition énergétique, laquelle doit être juste et propre. Nous savons que les actions dans le domaine de l’énergie verte en ville sont aussi génératrices d’emploi. Les données montrent qu’investir dans la rénovation des bâtiments résidentiels et les panneaux solaires photovoltaïques créera six fois plus d’emplois qu’investir dans les combustibles fossiles.
Comment le réseau C40 facilite-t-il la coopération entre les villes en matière de construction durable ?
I. S. : Réunir les villes est au cœur de notre mission. Notre programme Constructions propres soutient plus de 40 villes dans le monde, impliquant partenaires et parties prenantes pour accompagner la transition vers la décarbonation, l’efficacité énergétique, la résilience et un environnement bâti juste. L’une de nos actions consiste à sensibiliser les villes à l’impact « invisible » du bâti (émissions intrinsèques, raréfaction des ressources, pollution de l’air et des sols, pollution sonore) lorsque les principes de la construction durable ne sont pas respectés. Nous rassemblons les villes et parlons à nos pairs dans un environnement de confiance. Nous encourageons le leadership à travers des engagements politiques appelés « accélérateurs », tels que l’Accélérateur de bâtiments net zéro carbone qui fixe une orientation concrète pour garantir que la neutralité carbone nette des nouveaux bâtiments d’ici à 2030 et de tous les bâtiments d’ici à 2050. L’Accélérateur de construction propre est notre engagement à faire évoluer l’industrie mondiale de la construction vers un avenir plus durable. Notre objectif est d’impliquer les maires et de montrer au monde qu’ils sont actifs et non retardataires.
Le secteur de la construction est complexe, mondial et fragmenté. Aucun acteur ne peut seul réaliser la transition au rythme et à l’échelle requis.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’initiatives significatives de collaboration entre les villes ?
I. S. : En septembre 2022, la ville de New York a voté un ordre exécutif relatif à la construction propre qui vise à réduire l’empreinte carbone du secteur de la construction d’ici à 2033. Il s’agit là de l’une des meilleures décisions prises par une municipalité au monde. New York s’est ici inspirée de l’exemple d’autres villes comme Los Angeles et San Francisco. Après avoir échangé avec d’autres et compris ce qu’elles faisaient, les villes ont adapté les mesures en fonction de leur cadre local. D’autres villes, comme Rio de Janeiro l’année dernière, ont acheté de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable pour alimenter les installations publiques conformément à ce qui avait été fait ailleurs. À Melbourne, des programmes de rénovation ont également été inspirés par ceux d’autres villes.
Comment concevez-vous le rôle de la collaboration internationale entre les parties prenantes dans la transition vers des pratiques de construction durable ?
I. S. : Le secteur de la construction est complexe, mondial et fragmenté. Aucun acteur ne peut seul réaliser la transition au rythme et à l’échelle requis. L’engagement des parties prenantes est indispensable, y compris des organisations syndicales. Nous élaborons des politiques et les travailleurs, eux, mettent en œuvre le changement. Ils doivent être représentés à la table des discussions pour garantir leurs droits et un salaire décent. Nous ne pouvons y parvenir sans eux. C40 est également un membre fondateur de la coalition Building ToCOP, initiative qui rassemble les leaders de toute la chaîne de valeur afin que la thématique de l’environnement bâti figure parmi les priorités du dialogue international sur le climat.
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Quelles sont les solutions les plus efficaces pour faciliter la transition de ces villes vers des pratiques de construction durable ?
I. S. : Il n’y a pas de solution unique, mais des principes qui peuvent être appliqués universellement, comme le fait de prioriser les infrastructures existantes et de réutiliser les matériaux à la fin de leur cycle de vie. Nous devons planifier, construire et concevoir pour l’avenir. Il serait impensable de construire des bâtiments ici en Grèce sans tenir compte de la hausse des températures. Il fait 45 °C l’été, donc nos bâti‐ ments doivent être capables de résister à cette chaleur. Nous devons nous assurer de la sécurité sur les chantiers et utiliser des engins zéro émission. Les municipalités peuvent elles aussi servir de modèle. On ne peut pas demander au secteur privé d’agir si elles ne le font pas. Il faut que les municipalités utilisent leurs prérogatives en matière de commande publique pour développer le marché adéquat et faciliter le développement de technologies innovantes.
Tout repose sur la collaboration. Une collaboration fondée sur une approche inclusive regroupant l’industrie, les travailleurs et les citoyens peut aider à faire émerger la construction durable.
Quel est le meilleur moyen de permettre aux villes d’adopter des pratiques durables ?
I. S. : Elles doivent disposer des bonnes informations pour prendre des décisions allant dans le sens du développement durable. Il est essentiel de dissiper les idées fausses, comme celle selon laquelle les combustibles fossiles sont moins chers, plus sûrs, créent des emplois et favorisent le développement économique. Dans le secteur de la construction, les rénovations offrent un potentiel d’emplois plus important que les emplois liés aux combustibles fossiles. Par ailleurs, elles permettent d’améliorer la qualité de l’air à l’intérieur et à l’extérieur et présentent donc des avantages pour la santé des citoyens. Les énergies renouvelables coûtent moins cher et leur prix est moins volatil. Une transition vers des systèmes fonctionnant à partir de ces sources d’énergie permet donc de réaliser des économies, de réduire la pollution de l’air, de créer des emplois verts et de sécuriser les sources d’énergie. Nous devons informer nos dirigeants politiques et combattre les idées reçues, sans quoi nous ne pourrons développer la construction durable.
Comment les villes travaillent-elles avec l’industrie pour élaborer des feuilles de route pour parvenir à la neutralité carbone tout en répondant à la demande croissante en logements, services urbains et infrastructure ?
I. S. : Tout repose sur la collaboration. Les villes et les acteurs industriels doivent essayer des solutions sur les bâtiments municipaux avant de les appliquer au secteur privé. Une collaboration fondée sur une approche inclusive regroupant l’industrie, les travailleurs et les citoyens peut aider à faire émerger la construction durable que nous appelons tous de nos vœux.
Le C40 est un réseau mondial de près de 100 maires des plus grandes villes du monde unis dans l’action pour faire face à la crise climatique. Le C40 aide les maires à y parvenir en :
- Relever l’ambition climatique grâce au soutien du plan d’action climatique 1,5°C, aux accélérateurs à fort impact et à la promotion de l’innovation.
- Bâtir des communautés équitables et prospères via des programmes mondiaux et régionaux.
- Construire un mouvement mondial grâce à un plaidoyer international et une diplomatie solides.
- Intensifier l’action climatique et partager les meilleures pratiques dans les secteurs à fort impact.
- Faciliter l’accès au financement pour investir dans des emplois verts et des projets qui améliorent la résilience des villes.