Sommes-nous suffisamment formés pour accélérer la transition ?

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Le secteur de la construction se transforme en formant ses différents corps de métiers (architectes, urbanistes, paysagistes, artisans, etc.) aux méthodes et solutions de construction et de rénovation durables.

Décarbonation
Décryptage
Durée de lecture : 9 min 9 min
23/08/2024

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Construire durable ne s’invente pas. Et pour y parvenir, de nombreuses compétences sont aujourd’hui à investir par les professionnels du bâtiment, les artisans, architectes, urbanistes, ingénieurs…. Selon le Baromètre de la construction durable 2024, 51 % des sondés disent avoir déjà bénéficié d’une formation à la durabilité. C’est 6 points de plus que l’année précédente, mais quelle est la réalité de terrain ? Quels sont les principaux leviers ou freins ? Décryptage.

Être capable de réduire significativement les émissions de carbone pour tout nouveau projet de construction ou de rénovation nécessite des qualifications à la fois techniques et théoriques, souvent très différentes des méthodes traditionnelles. Dans ce contexte, la formation à la construction durable doit mobiliser un champ de compétences et de disciplines large, s’adresser à tous les métiers (architectes, urbanistes, paysagistes, artisans…), tout en s’adaptant à des contextes de marché et de ressources, très différents.

« La construction durable ne se limite pas à l’utilisation de matériaux écologiques ou à l’efficacité énergétique, elle commence par une formation solide qui intègre ces principes dès le début du processus de conception » - Docteur. Charles J. Kibert, professeur en management de la construction durable à l’Université de Floride (USA)

Une offre de formation en plein essor mais d’importantes marges de progrès

Face au défi environnemental, les formations dédiées à la construction durable se multiplient aux quatre coins du monde. Qu’il s’agisse du Master en gestion urbaine et design durable de l’Université de Tsinghua en Chine, du programme en construction et design de bâtiments durables de l’Auroville Earth Institute en Inde, ou encore des formations en ligne du Green Building Council australien, les opportunités d’apprentissage foisonnent. Nombre d’écoles d’architecture et d’ingénieurs en génie civil intègrent désormais des modules dédiés à la construction durable dans leurs cursus. Devenu incontournable, ce mouvement témoigne d’une prise de conscience globale : la construction durable est l’avenir des professionnels du secteur.

L’édition 2024 du Baromètre de la construction durable 2024 indique clairement cette tendance : les professionnels et les étudiants se sentent mieux formés et informés qu’auparavant, avec un sentiment d’accès à la formation en hausse de 12 points par rapport à l’édition 2023.

Les formations à la construction durable éclosent partout dans le monde. Ici l’École d’Architecture de l’université de Yale (États-Unis), qui se dédie à la formation de la prochaine génération d’architectes et de concepteurs de l’environnement bâti. © Gwathmey Siegel & Associates Architects

Cependant, malgré cette dynamique positive et une offre en plein essor, des disparités d’accès à la formation peuvent persister, selon les réalités de terrain : le coût élevé des formations, le manque de formateurs experts, ou une trop forte standardisation de l’offre pédagogique, peuvent constituer des freins au bon développement de la formation à la construction durable.

« Il existe une offre de formation abondante et en croissance mais le problème est qu'elle n'est pas toujours suffisamment intégrée à la formation de base. Un effort plus important est nécessaire pour sensibiliser, mettre à jour les normes et systématiser les pratiques. » - Andrés Borthagara, architecte et directeur du programme de 3e cycle en conception et gestion des villes intelligentes et inclusives à la Faculté d'Architecture, de Design et d'Urbanisme de l'Université de Buenos Aires (Argentine)

Face à ces défis d’adaptation et d’accélération, Anna Dyson, Directrice du Yale Center for Ecosystems in Architecture, plaide pour une formation continue des professionnels, en phase avec les dernières avancées technologiques. Un impératif selon elle, « pour pouvoir exploiter pleinement notre potentiel technique et technologique et faire progresser la durabilité des bâtiments. »

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Ciro Pirondi, co-fondateur de l’école d’architecture Escola da Cidade de São Paulo (Brésil), va plus loin en soulignant l’évolution nécessaire de la formation des architectes : « le projet pédagogique de nos écoles d’architecture doit être repensé afin d’être le principal levier des transformations qui agitent l’architecture du XXIe siècle. Contrairement à celle des siècles précédents, elle se doit d’être de plus en plus sociale, écologique, pluridisciplinaire et interactive avec l’utilisateur, qu’il soit privé ou public. Ces changements de paradigme nécessaires et profonds commencent et se terminent par l’éducation des nouvelles générations. » 

Interview with Alicja Kuczera, CEO du Green Building Council polonais :

Une nécessaire approche interdisciplinaire

Vivian Loftness, professeure, auteure et chercheuse en architecture à l’Université de Carnegie Mellon, à Pittsburgh en Pennsylvanie (USA), aborde la problématique de la formation à la construction durable avec une vision plus interdisciplinaire et holistique1. Pour la professeure américaine, la collaboration entre les différentes disciplines comme l’architecture, l’ingénierie, la science environnementale, l’urbanisme et les techniques de construction est indispensable pour répondre aux challenges du secteur. Pour faire progresser les pratiques, il est selon elle vital de former des professionnels capables de comprendre ces aspects interconnectés de la construction ​. Le but ? Créer des bâtiments qui minimisent non seulement l’impact environnemental, mais favorisent également le bien-être de leurs occupants. 

Une approche adoptée par les programmes de Master en architecture et urbanisme durable du Centre for Environmental Planning and Technology, en Inde, dont les cours couvrent la conception écologique, les matériaux durables, l’efficacité énergétique et la gestion des ressources, tout en amenant les étudiants sur le terrain pour concrétiser leurs visions dans des projets techniques.

L’Université CEPT en Inde comprend six facultés : Le CEPT Foundation Program, la Faculté d’architecture, la Faculté de design, la Faculté de gestion, la Faculté de planification et la Faculté de technologie, qui interagissent pour offrir une approche interdisciplinaire de la formation. Crédit : Dinesh Mehta

Le rôle des institutions publiques et organisations internationales 

Dans cette course contre la montre environnementale, il est impératif que les institutions publiques assument un rôle de moteur du changement et du financement de ces nouvelles formations si essentielles à la généralisation de la construction durable. 

En établissant des normes et réglementations plus durables, assorties d’aides incitatives, les politiques publiques impulsent une transformation profonde du secteur. L’Australie et le Canada, avec leur Code national de la construction et leur Code national de l’énergie pour les bâtiments, illustrent l’efficacité de cette approche. Ces réglementations, en fixant des standards minimaux de performance pour les bâtiments, obligent le secteur à s’adapter et à former des professionnels compétents en matière de construction durable.

Ces initiatives locales, combinées aux engagements internationaux tels que l’Accord de Paris de 2015 et les conclusions de la COP 28 aux Émirats arabes unis en 2023, constituent un puissant levier de changement. Ce levier est renforcé par l’action d’organisations indépendantes et leurs certifications internationales.

Aux États-Unis, par exemple, la Green Building Certification Institute (GBCI) propose la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), qui combine formations et certifications en construction durable avec des avantages fiscaux et des subventions fédérales pour les projets certifiés. Cette approche incitative encourage l’adoption de pratiques durables et la métamorphose du secteur.

« LEED encourage les projets à adopter des stratégies et pratiques innovantes qui repoussent les limites de la durabilité, aboutissant à des bâtiments qui sont meilleurs à la fois pour l'environnement et pour les personnes qui les utilisent » - Alex Wilson, expert en durabilité et fondateur de Building Green, une entreprise dédiée à la promotion des pratiques de construction durable et écologique.

Formation des artisans : les industriels en première ligne

Les institutions publiques ne peuvent supporter seules le développement de la formation à la construction durable. Pour le professeur allemand Harald Kloft, chercheur en architecture et construction, spécialisé dans les structures et les matériaux innovants et durables, il est désormais essentiel que se développe une collaboration étroite avec l’industrie, afin de catalyser l’innovation et atteindre des objectifs environnementaux ambitieux. 

Un défi auquel répondent volontiers les industriels qui, confrontés à l’urgence démographique et aux demandes afférentes des promoteurs, sont souvent soumis à la nécessité du marché de construire plus vite et moins cher. Ils doivent donc réussir à changer les pratiques. Pour ce faire, de plus en plus de grands groupes investissent pour former leurs partenaires et clients, aux quatre coins du monde, et ainsi contribuer à développer les compétences durables sur toute la chaîne de valeur de la construction. 

C’est le cas de CEMEX, géant mexicain des matériaux de construction qui offre, au Mexique, des programmes de formation continue en construction durable à ses clients.  En France, Saint-Gobain a inauguré les Écoles de la Construction Durable, un pôle de formations professionnelles entièrement consacrées à ce sujet. Depuis janvier 2022, plus de 47 classes ont été ouvertes à travers toutes la France, avec comme objectif de former 2 500 apprentis d’ici 2028 aux métiers de la construction durable.

Cyrille Maury/Placoplatre
Des étudiants de l’Ecole de la Construction Durable de Saint-Gobain, se formant à la pose de placo au centre de formation de Vaujours en Seine-Saint-Denis, France. Crédit : Cyrille Maury/Placoplatre

Devant les défis environnementaux et sociaux d’une “planète-ville” dont 70 % de la population sera urbaine en 2050², investir pour le développement de formations adaptées aux besoins des professionnels de tous secteurs et des jeunes générations, est une condition sine qua non. Si la formation actuelle souffre encore d’une trop grande disparité, les choses changent et les initiatives prennent de l’ampleur, valorisant progressivement une approche collaborative et holistique de la construction durable. Gouvernements, institutions et industriels doivent collaborer étroitement pour créer de nouvelles opportunités et un cadre incitatif, propice à la révolution de nos habitudes. 


Sources :

  1. Loftness Vivian, A Holistic, interdisciplinary view of sustainable building 
  2. Designing the megacities of 2070, Constructing a Sustainable Future 

Crédits photos: © Gwathmey Siegel & Associates Architects, Dinesh Mehta, Cyrille Maury/Placoplatre

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