« La collaboration est essentielle et n’a pas besoin de politiques. Il suffit de savoir s’organiser. »

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Oliver Rapf au Sustainable Construction Talk, à Bruxelles, le 4 décembre 2024

Politique et économie
Point de vue
Durée de lecture : 7 min 7 min
29/01/2025

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Alors que des initiatives mondiales comme le Buildings Breakthrough et la Déclaration de Chaillot ont donné un nouvel élan à la réduction de l’empreinte carbone du secteur de la construction, Oliver Rapf, directeur exécutif du Buildings Performance Institute Europe, estime que l’UE doit définir des objectifs et des plans d’action clairs pour soutenir les efforts de ce secteur en faveur d’une construction durable.
Oliver RAPF, Directeur exécutif du Buildings Performance Institute Europe.
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Nous avons assisté l’année dernière à l’émergence d’initiatives, telles que le Buildings Breakthrough et la Déclaration de Chaillot. Que nous apprennent ces initiatives sur le secteur de la construction ?

Le Buildings Breakthrough et la Déclaration de Chaillot ont donné ce nouvel élan indispensable à la réduction de l’empreinte carbone du secteur du bâtiment et de la construction.

Ces deux initiatives représentent une avancée considérable, car elles formalisent un engagement mondial de tous les acteurs du secteur, des décideurs politiques aux entreprises en passant par l’industrie. Elles sont vraiment complémentaires : le Buildings Breakthrough s’inscrit dans le processus de la CCNUCC1, tandis que la Déclaration de Chaillot est une initiative ascendante soutenue par 70 gouvernements du monde entier, qui a abouti à la création du Conseil intergouvernemental Bâtiment et Climat, dont la réunion inaugurale s’est tenue lors de la COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan.

La Déclaration de Chaillot énonce un ensemble complet d’actions visant à décarboner le secteur de la construction, donnant l’occasion au secteur de collaborer avec les gouvernements et de concrétiser ces engagements par des actions significatives et efficaces. Elle constitue un cadre de référence pour le suivi des progrès, tandis que la Global Alliance for Buildings and Construction2 joue un rôle clé dans le suivi des avancées grâce à son Rapport de situation mondial (Global Status Report) sur les progrès réalisés dans le monde.

Lire/Écouter : Qu’est-ce que la Déclaration de Chaillot ?

1 La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est l’une des trois conventions adoptées lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992 pour promouvoir une planète durable pour les générations à venir.

2 La GlobalABC est une alliance multipartite engagée dans une vision commune : un secteur du bâtiment et de la construction à zéro émission, efficace et résilient.

Qu’est-ce que le Buildings Performance Institute Europe (BPIE) ?Le BPIE est un think tank indépendant basé à Bruxelles, qui se concentre sur l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments en Europe au moyen d’analyses fondées sur des données, de solutions politiques innovantes et de stratégies porteuses de changement. Il participe à de nombreux projets de recherche en Europe et dans le reste du monde.

Quel rôle peuvent jouer les institutions européennes pour promouvoir la construction durable ? L’Europe peut-elle assumer un tel leadership ?

L’Europe est confrontée à de nombreuses crises. Elle dépend encore largement de l’importation de l’énergie nécessaire pour chauffer ses bâtiments tout en gaspillant de l’énergie avec des logements mal isolés. La question de l’accessibilité financière se pose également, car un nombre croissant de personnes ont des difficultés à louer ou à acheter un logement. L’économie ne connaît pas la croissance escomptée, ce qui entraîne des difficultés dans le secteur de la construction. Et puis, bien sûr, nous observons les répercussions toujours plus importantes du changement climatique, ainsi qu’une augmentation générale de l’incertitude et de l’anxiété au sein de nos sociétés. Tout cela peut sans doute paraître décourageant et effrayant, d’autant qu’il n’existe pas de solution simple à ces problèmes.

Lire/Écouter : Comment la finance soutient-elle le développement de la construction durable ?

Nous savons que le secteur de la construction détient des solutions capables de relever les défis auxquels l’Europe est confrontée. Ces solutions n’auront pas seulement un impact environnemental car, si nos bâtiments deviennent plus efficaces énergétiquement, plus sains et plus abordables, nous contribuerons également à apaiser les craintes de la société.

Or, le secteur du bâtiment peut apporter de nombreuses solutions à ces problèmes, et il est donc logique que l’UE définisse des objectifs et des plans d’action clairs pour qu’il puisse les mettre en œuvre.

L’UE devrait par exemple veiller à ce que l’efficacité énergétique, à savoir supprimer le gaspillage d’énergie, soit une priorité absolue dans la mise en œuvre des politiques, non seulement en réitérant la priorité accordée à l’efficacité énergétique, mais en l’intégrant dans l’objectif climatique de 2040 qui sera défini par la nouvelle Commission. Enfin, en veillant à ce que les États membres mettent en place des politiques performantes en matière d’efficacité. Ce serait là une immense contribution à la sécurité énergétique de l’Europe. L’énergie que nous ne consommons pas renforce notre sécurité et notre indépendance.

Lire/Écouter : Les bonnes pratiques de l’efficacité énergétique

L’UE devrait aussi faire de l’innovation dans la construction un élément central du Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal).3 Il faut aborder deux aspects de cette question :

1. Rendre les matériaux de construction nettement moins gourmands en carbone ;

2. Rendre les processus de construction des chantiers, comme par exemple, la rénovation des façades, bien plus rapides, plus propres et moins coûteux.

Une telle initiative stimulerait la croissance économique et renforcerait la compétitivité, ce qui est exactement l’objectif du Pacte pour une industrie propre.

Et quand on aborde la question de la construction durable, il ne faut pas oublier les aspects sociaux. La construction durable, ce sont aussi des bâtiments sains, abordables et qui créent un environnement unificateur pour la société. L’UE peut faire beaucoup pour soutenir cette démarche en mettant en place des programmes d’aide financière ciblés pour soutenir le réaménagement durable de zones délaissées. Cette stratégie permettrait de soutenir directement les citoyens européens, de remédier aux difficultés financières liées à l’accès au logement et d’aider les citoyens à mesurer l’importance de l’Union européenne dans leur vie quotidienne.

3 En juillet dernier, Ursula von der Leyen a présenté ses orientations politiques au Parlement européen, détaillant les objectifs clés pour les 100 premiers jours de son nouveau mandat. Parmi ces objectifs figurait l’annonce d’un « Pacte pour une industrie propre », un des éléments du plan de l’UE pour favoriser la prospérité durable, la compétitivité et la décarbonation, tout en diminuant les prix de l’énergie.

Que peut faire le secteur pour contribuer à ces efforts et améliorer la coordination et l’efficacité ? 

Ce secteur est très fragmenté. Il faut d’abord renforcer la collaboration tout au long de la chaîne de valeur, car cela ne servirait à rien si un groupe de cette chaîne de valeur, par exemple, les architectes, fait des efforts pour améliorer la durabilité, mais que les solutions techniques proposées par l’industrie de la construction ne sont pas abordables. La collaboration est donc essentielle et n’a pas besoin de politiques. Il suffit de savoir s’organiser.

Lire/Écouter : Regards d’architectes sur la construction durable

La collaboration est essentielle et n’a pas besoin de politiques. Il suffit de savoir s’organiser.

Le secteur devrait aussi faciliter l’investissement en offrant des garanties de performance pour les solutions et les projets qu’il propose. Ceci permettrait de réduire les risques d’investissement et, par conséquent, de limiter les coûts.

Troisièmement, les offres de rénovation proposées au client doivent être complètes et collaboratives. Nous devons créer un secteur de services de rénovation proposant des rénovations complètes, abordables, et fiables. Si les gens estiment qu’investir dans la rénovation ne présente pas de risque, il leur sera beaucoup plus facile de le faire.

Quatrièmement : investir dans l’innovation et la transparence. Le secteur est un des secteurs économiques les moins innovants, et cette situation doit changer. Sur le plan politique, cela se traduit par un environnement beaucoup plus favorable aux start-ups en Europe. D’un point de vue commercial, cela signifie qu’il faudrait investir davantage dans l’innovation et que les produits et services innovants devraient être mis sur le marché beaucoup plus rapidement.

Lire/Écouter : Climat : six startups qui révolutionnent la construction

Zoom sur...

Le Buildings Breakthrough
Lors de la COP28, en décembre 2023, les gouvernements français et marocain, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour l’environnement, ont lancé le Buildings Breakthrough. Cette nouvelle initiative vise à renforcer la coopération mondiale pour décarboner le secteur du bâtiment et a pour objectif de faire des technologies propres et des solutions durables l’option la plus abordable, la plus accessible et la plus intéressante à l’échelle mondiale d’ici 2030.

La Déclaration de Chaillot
En mars 2024, le premier Forum Mondial Bâtiments et Climat, organisé par le gouvernement français et le Programme des Nations unies pour l’environnement, s’est conclu par l’adoption de la Déclaration de Chaillot par les représentants de 70 pays. Il s’agit d’un document essentiel qui jette les bases d’une coopération internationale favorisant une transition rapide, équitable et efficace dans le secteur.

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