Souvent, pour parvenir à réduire les émissions de carbone tout au long du cycle de vie d’un bâtiment, les matériaux utilisés et les méthodes adoptées doivent différer radicalement de ce qui est pratiqué traditionnellement, brouillant les cartes de la rentabilité et de l’économie des projets. Mais lorsque les pratiques durables sont correctement mises en œuvre, elles ne viennent pas forcément alourdir le coût. Il semble même que décarbonation et maîtrise des budgets puissent aller de pair…
Et si durabilité et coût n’étaient pas liés ?
Le Green Building Council du Danemark s’est posé la question : existe-t-il un lien entre le niveau de durabilité et les coûts de construction ? Il y a répondu au travers d’une étude portant sur 37 bâtiments certifiés avec le label DGNB (certification allemande évaluant la durabilité des bâtiments). Le graphique ci-dessous présente les projets selon leur coût de construction au mètre carré et leur impact total sur le climat, à travers leurs émissions de CO2. Le calcul des émissions est basé sur des évaluations tout au long du cycle de vie sur une période de 50 ans et comprend la production de matériaux pendant la construction, leur remplacement ultérieur éventuel, la consommation d’énergie pour l’exploitation du bâtiment ainsi que le traitement et l’élimination des déchets lors de la démolition
Comme on peut le voir, coût de construction et émissions de CO2 ne semblent pas être corrélés. Plusieurs des bâtiments ayant les émissions les plus basses figurent même parmi les bâtiments dont les coûts sont les plus bas. L’étude souligne aussi que si certains choix durables peuvent engendrer des coûts supplémentaires, d’autres facteurs, comme la conception, ont un impact bien plus important sur le coût final d’un bâtiment.
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Constater le coût de l’innovation… mais pas que
La perception d’un coût de la construction durable plus élevé est en général liée aux prix des matériaux et solutions ayant nécessité, dans leur conception au service de la décarbonation, un processus d’innovation. S’il est vrai que certaines solutions demeurent plus coûteuses, ce constat ne peut pas être généralisé : il mérite une analyse au cas par cas, en fonction des solutions et des caractéristiques des marchés. Avec une tendance de fond depuis plusieurs années : la réduction des coûts de conception et de construction des bâtiments durables à mesure que les chaînes d’approvisionnement en matériaux et technologies plus durables mûrissent. Au fil des ans, l’industrie devient plus compétente dans la livraison de bâtiments moins émetteurs de CO2.
Mais surtout, se focaliser sur les coûts des matériaux et produits durables, omet de prendre en compte l’ensemble des principes de la pensée durable. Tout entière tournée vers son objectif de diminution des émissions de CO2, elle permet de se poser les bonnes questions dès le départ : au lieu de construire, peut-on réutiliser ou réaménager ? Peut-on penser la géométrie d’un bâtiment pour optimiser sa surface utilisable tout en construisant moins ? etc. Et ce leitmotiv « faire plus avec moins », profondément ancré dans les process de construction durable, va de pair avec un ancrage économique lui aussi plus frugal.
Le leitmotiv « faire plus avec moins » de la construction durable va de pair avec un ancrage économique lui aussi plus frugal.
Le graphique ci-dessus est issu du rapport « Net-zero buildings – Halving construction emissions today » rédigé par ARUP et le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Il illustre l’influence du moment de la prise de décision sur le potentiel de réduction des émissions de carbone d’un projet de construction : plus les décisions en faveur de la décarbonation sont prises tôt, plus leur impact est important. Les étapes amont de brief et de design, orientées vers la recherche de plus de frugalité et de circularité, ont l’impact le plus important sur la réduction des émissions de carbone incorporé.
À l’inverse, l’impact sur les émissions se réduit à mesure que le projet avance : le fait de privilégier des matériaux à faible impact carbone, ceux-là même qui incarnent l’image de la durabilité de la construction mais aussi de son coût plus élevé, n’a en réalité qu’un potentiel limité de réduction du carbone incorporé du projet, de moins de 30%.
Au début de tous les projets de construction, les entreprises d'architecture et de génie civil doivent clairement se demander s'il est nécessaire de construire et évaluer ce qu'elles pourraient réutiliser et réaffecter en termes de bâtiments existants.
Rapport “Net-zero buildings - Halving construction emissions today”. ARUP / World Business Council for Sustainable Development
Penser cycle de vie
Qui dit durable, dit aussi temps long. Et ce scope temporel là, forcément étendu afin de pouvoir relever le défi de la crise climatique, permet aussi à la construction durable de gagner ses lettres de noblesse en matière de coût. Il incite en effet à prendre en compte les coûts d’un bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie, et pas seulement au moment de sa construction. Or, 75% des dépenses imputables à un bâtiment ont lieu durant la phase d’exploitation : entretien, maintenance, réparations, consommations d’eau, d’énergie… En optimisant la longévité des produits utilisés, la performance énergétique, la consommation de ressources et la gestion des déchets, les dépenses opérationnelles d’un bâtiment durable neuf sont inférieures de 14% à celles d’un bâtiment traditionnel (source World Green Building Council).
-14%
de dépenses opérationnelles pour un bâtiment durable neuf vs un bâtiment traditionnel.
À cela s’ajoute un autre avantage pour les acteurs du marché : les biens durables sont mieux valorisés et donc plus rentables. A mesure que les investisseurs et les occupants deviennent plus informés et préoccupés par les impacts environnementaux et sociaux de l’environnement bâti, les bâtiments présentant de meilleures références en matière de durabilité sont davantage valorisés par les acheteurs ou les locataires.
Ce schéma, issu du rapport « The Business Case for Green Building » du World Green Building Council, permet de visualiser les avantages du bâtiment durable pour les promoteurs, les locataires et les propriétaires. Chaque cercle représente les bénéfices perçus par chaque acteur. Les zones de chevauchement mettent en évidence les avantages communs, comme la réduction des coûts et l’amélioration de l’image de marque. Les intérêts de tous les acteurs convergent autour du bâtiment durable, créant un écosystème favorable à son essor.
L’exemple durable et abordable
Legacy Square est un complexe de logements abordables bâti à Santa Ana, en Californie (États-Unis), récompensé par le U.S. Green Building Council pour son excellence en matière de construction durable. Certifié LEED Platinum*, le projet intègre des solutions innovantes pour à la fois minimiser son impact environnemental et maximiser sa valeur.
Un système solaire photovoltaïque couvre 36% des besoins énergétiques du bâtiment, tandis que l'enveloppe performante et les espaces verts optimisent la gestion des eaux pluviales. Les équipements à faible débit réduisent la consommation d'eau de 36%, et l'utilisation de matériaux non toxiques garantit une meilleure qualité de l'air intérieur.
Legacy Square démontre que la construction durable n'est pas un luxe, mais un investissement intelligent qui crée des logements abordables, attractifs et à forte valeur ajoutée.
*LEED Platinum est le plus haut niveau de certification du système d'évaluation LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) développé par le U.S. Green Building Council.
1 Baromètre de la construction durable 2024 : pour 95% des personnes interrogées, la construction durable apparaît prioritaire (67%) ou importante (28%).
Crédits photos: © ingenhoven architects