Hannah Audino dirige les travaux de la Commission pour la transition énergétique (ETC) concernant la décarbonation des bâtiments et le financement de projets à faible émission de carbone. Avant cela, elle était économiste chez PwC, sur les questions de réglementation, de politique et de macroéconomie. Hannah a accepté de partager son analyse sur l’enjeu énergétique du secteur de la construction.
Selon vous, quels sont les défis actuels du secteur de la construction en matière de transition énergétique ?
Les bâtiments vont solliciter plus fortement les réseaux électriques mondiaux à l’avenir, avec l’augmentation de la demande de climatisation dans le monde entier et l’électrification du chauffage et des appareils de cuisson dans les pays de latitude Nord. Or, la qualité et la performance énergétique du parc immobilier peuvent jouer un rôle important dans la gestion de la demande d’électricité dans un système d’énergie renouvelable, en réduisant la demande globale d’électricité, en particulier aux heures de pointe. En s’assurant que les nouveaux bâtiments ont une inertie thermique suffisante pour conserver la chaleur, on ne réduit pas seulement la consommation globale d’énergie, on peut également permettre aux ménages de « préchauffer » efficacement leurs maisons avant les heures de pointe.
Il reste encore beaucoup à faire pour accélérer la construction durable, mais l’une des clés est de viser des normes de qualité élevées dans des projets abordables pour le plus grand nombre.
Dans les pays chauds, il existe de nombreuses solutions peu coûteuses que le secteur de la construction doit intégrer dans ses nouveaux développements, comme penser à l’orientation pour minimiser les apports solaires, ou peindre les toits en blanc pour réfléchir la chaleur. Ces stratégies dites de « refroidissement passif » peuvent réduire de manière significative le réchauffement d’un bâtiment, réduisant ainsi la demande d’électricité pour la climatisation et apportant d’énormes avantages sur le plan social, de la santé et de la productivité.
Quel serait l’impact global de mesures de réduction de la consommation énergétique des bâtiments ?
Les estimations suggèrent que pour les immeubles récents, la réduction de 25 % de la consommation d’énergie opérationnelle au-delà des normes réglementaires actuelles, n’ajouteraient que 1 à 5 % aux coûts de construction. En retour, cela réduira la taille et le coût global du système d’énergie renouvelable que nous devons construire, la part que nous devons consacrer à la production d’électricité à partir de combustibles fossiles, ainsi que les factures d’énergie des ménages.
1 à 5 % de coûts de construction en plus permet de diminuer de 25 % la consommation d'énergie.*
*énergie opérationnelle au-delà des normes réglementaires actuelles
Quels sont les leviers les plus importants pour accélérer la transition énergétique du secteur ?
L’action la plus importante pour améliorer l’efficacité énergétique des nouveaux bâtiments passe selon moi par la réglementation. Les codes de construction doivent établir des calendriers clairs sur la manière dont les normes minimales d’intensité énergétique (par exemple, la consommation d’énergie par m2 à laquelle les bâtiments doivent répondre) augmenteront au fil du temps, améliorer l’application et le contrôle, et veiller à ce que l’évaluation soit effectuée sur la base de données de performance réelles, plutôt que modélisées.
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Quels chiffres souhaitez-vous mettre à l’honneur sur le thème de la transition énergétique ?
Nous avons récemment découvert une analyse très intéressante1 sur la baisse de la température des habitations dans différents pays après l’arrêt du chauffage. Elle montre qu’en Norvège et en France, après cinq heures, la température intérieure a baissé de 1°C, tandis qu’au Royaume-Uni, elle a chuté de 3°C. Cela reflète les différences en matière d’isolation et d’efficacité énergétique globale du parc immobilier. Cette analyse met en évidence l’importance que l’isolation jouera dans la réduction de la consommation d’énergie des ménages, en particulier pendant les périodes de pointe. Par exemple, en Norvège et en France, la meilleure qualité de l’habitat permet aux ménages de « préchauffer » efficacement leur maison avant les périodes de forte demande.
1 Source: Tado
L'Energy Transitions Commission est une coalition mondiale de leaders du secteur de l'énergie qui se sont engagés à réduire à zéro les émissions nettes d'ici le milieu du siècle. Ils sont issus d'un large éventail d'organisations - producteurs d'énergie, industries à forte intensité énergétique, fournisseurs de technologies, acteurs financiers et ONG environnementales - qui opèrent dans les pays développés et en développement et jouent différents rôles dans la transition énergétique.
L'Energy Transitions Commission élabore des feuilles de route et des outils de transition sur la base d’analyses et d'échanges approfondis avec des experts et des praticiens des chaînes de valeur à forte intensité énergétique. Ce travail est généralement entrepris avec une série de partenaires, d'associations industrielles, d'ONG et d'experts.
Prochain épisode de la série :« Défi énergétique : visions d’experts » : Janus Christoffersen, Chef de l'unité Rénovation des bâtiments de la Municipalité de Copenhague (Danemark)
Crédits photos: Powerhouse Brattørkaia : Ivar Kvaal.