Comment la finance soutient-elle le développement de la construction durable ?

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Au Mexique, la Torre Reforma a été développée grâce à une combinaison de financements mixtes, impliquant des promoteurs immobiliers, des investisseurs privés et l'industrie de la construction. Conçue par Benjamín Romano de LBR&A Architectos, en collaboration avec les ingénieurs d'ARUP, elle a obtenu la certification LEED Platinum.

Politique et économie
Point de vue
Durée de lecture : 8 min 8 min
21/08/2024

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Jamie Fergusson est le Directeur mondial de l’Action climatique à l’IFC (International Finance Corporation). Il nous partage son expertise et sa vision d'un secteur du financement de la construction en pleine transition, du développement de certifications bas carbone à la création de nouveaux produits financiers. Avec à la clé un enjeu de taille : comment la finance peut-elle jouer un rôle moteur dans le développement d’une construction plus durable ?
Jamie Fergusson Directeur monde de l’Action climatique à l’IFC

Qu'est-ce que IFC ?Membre du Groupe de la Banque mondiale, la Société Financière Internationale (IFC) est la plus grande banque de développement au monde dédiée au développement du secteur privé dans les marchés émergents.

Comment le paysage du financement de la construction durable a-t-il évolué au cours des dix dernières années ?

Jamie Fergusson : Il évolue très rapidement. La croissance exponentielle des bâtiments verts est sans précédent. Il y a dix ans, l’IFC n’avait aucune activité dans le domaine de la construction durable. L’année dernière, nous avons engagé 2,5 milliards de dollars dans des bâtiments verts, à l’échelle mondiale. Cette croissance massive n’est pas seulement la nôtre, mais celle du marché dans son ensemble. Les acteurs du marché immobilier, des promoteurs aux investisseurs et autres parties prenantes, prennent en compte tous les aspects de la durabilité. Au début, la durabilité tournait essentiellement autour de l’efficacité énergétique, mais son champ d’application s’est élargi pour inclure l’énergie, l’eau et le carbone incorporé, et l’accent a été mis récemment sur la résilience climatique¹. La façon dont les investisseurs envisagent la durabilité a changé ; ainsi ceux qui opèrent sur les marchés des capitaux et les sociétés de placement immobilier, ou FPI, envisagent désormais la décarbonation de l’ensemble de leur portefeuille.

Au début, la durabilité tournait essentiellement autour de l'efficacité énergétique, mais son champ d'application s'est élargi pour inclure l'énergie, l'eau et le carbone incorporé, et l'accent a été mis récemment sur la résilience climatique.

Les mots de la finance durable1 Carbone incorporé : quantité totale de CO2 émise au cours du cycle de vie du bâtiment, y compris l'extraction des matières premières, la fabrication, le transport, la construction et la fin de vie d'une construction.

Comment les intermédiaires financiers (banques, fonds de pension, sociétés de placement immobilier, assureurs…) peuvent-ils faciliter la transition environnementale du secteur de la construction ?

JF : Les intermédiaires financiers peuvent collectivement être un moteur de la transition verte. Premièrement, les banques peuvent proposer des produits spécialisés tels que des prêts hypothécaires écologiques² pour les acheteurs particuliers, des prêts à la construction durable aux promoteurs et des financements liés à la durabilité aux propriétaires de bâtiments pour la rénovation verte progressive des bâtiments anciens. Ensuite, ils peuvent également proposer des financements de transition aux secteurs à forte intensité d’émissions de la chaîne d’approvisionnement, tels que les entreprises sidérurgiques, cimentières et verrières. Les politiques peuvent aider les intermédiaires financiers s’il existe des incitations réglementaires pour les bâtiments certifiés verts, mais les intermédiaires financiers eux-mêmes peuvent également conduire cette transition par l’innovation produit. S’ils s’y prennent bien, ils peuvent ensuite accéder aux marchés des capitaux et aux investisseurs institutionnels en finançant ces produits par leur propre émission d’obligations vertes³ sur les marchés.

Les mots de la finance durable2 Prêt hypothécaire écologique : un prêt immobilier qui peut être remboursé par la vente du bien hypothéqué. Conçu pour encourager et financer des projets de construction et de rénovation écologiques, ce type de prêt hypothécaire offre des conditions avantageuses aux emprunteurs qui souhaitent construire des maisons économes en énergie ou rénover des bâtiments.

3 Obligations : Un titre de créance par lequel un émetteur emprunte de l'argent à des investisseurs, s'engageant à rembourser le capital à une date d'échéance et à verser des intérêts périodiques.

Les intermédiaires financiers peuvent collectivement être un moteur de la transition verte.

Quelle est la place de la taxonomie⁴ et des certifications dans l’engagement des banques et des intermédiaires financiers ?

JF : Les taxonomies et les certifications sont essentielles au succès des intermédiaires financiers qui mènent cette transition. Au niveau des actifs, au niveau de l’emprunteur, un prêt hypothécaire vert doit reposer sur le fait que la maison ou le bâtiment qui en résulte est réellement vert. Pour le savoir, il faut une certification telle que EDGE⁵ de l’IFC, un outil et une certification gratuits utilisés dans 100 pays différents et qui ont soutenu et permis plus de 80 milliards de dollars d’investissements dans le monde. De même, les taxonomies pour la finance labellisée sont tout aussi importantes pour rassurer les investisseurs qui achètent des obligations sur le fait que les fonds seront utilisés pour des bâtiments verts qui apportent de réels avantages climatiques. Il y a une interaction ici entre le développement de produits par les intermédiaires financiers et certaines normes mondiales, régionales et locales sur la certification des bâtiments et les taxonomies sur les marchés financiers.

Les mots de la finance durable4 Taxonomies : classifications qui identifient les activités économiques durables sur le plan environnemental.

5 EDGE de l’IFC : « Excellence in Design for Greater Efficiency ». Un logiciel gratuit, une norme de construction écologique et un système international de certification des bâtiments écologiques créé par l’IFC.

L’hôtel Leela Palace situé à Bangalore, en Inde, a obtenu la certification EDGE de l’IFC pour ses caractéristiques d’efficacité énergétique. ©Leela Palace Bengaluru (Photo)

Le facteur financier reste pourtant un des freins principaux à la transition de la construction durable. Des outils financiers incitatifs existent-ils pour convaincre les réticents ?

JF : Sur les nouveaux marchés, les obstacles liés à l’augmentation des coûts et de la complexité freinent souvent la croissance. Mais sur les marchés matures, la réalité est différente. Les coûts supplémentaires sont faibles et les défis sont réalisables à mesure que tous les acteurs, des fournisseurs aux constructeurs en passant par les architectes, acquièrent de l’expérience. Il est donc important d’éduquer le marché. Pour notre part, avec le soutien des gouvernements de la Suisse et du Royaume-Uni, nous avons construit le système de certification EDGE qui, en plus d’être une certification internationale, est gratuit pour tous afin que chacun puisse apprendre facilement comment certifier un bâtiment vert.

Les coûts supplémentaires sont faibles et les défis sont réalisables à mesure que tous les acteurs, des fournisseurs aux constructeurs en passant par les architectes, acquièrent de l'expérience.

Les aides au financement mixte du gouvernement britannique (mélangeant investisseurs publics et privés) nous ont également permis de proposer, par exemple, des financements aux banques de détail et commerciales des marchés émergents à un taux d’intérêt légèrement inférieur. Une réduction qu’elles ont pu répercuter sur leurs offres d’hypothèques vertes pour leurs clients. Cela crée une incitation qui permet de surmonter les obstacles réels et perçus au départ. Les marchés basculent aisément dans le financement de la construction durable une fois qu’il y a une meilleure compréhension des coûts et des enjeux, une plus grande sensibilisation et, évidemment, un soutien financier.

Les marchés basculent aisément dans le financement de la construction durable une fois qu'il y a une meilleure compréhension des coûts et des enjeux, une plus grande sensibilisation et, évidemment, un soutien financier.

Pouvez-vous nous donner un exemple de la manière dont cette réduction a été mise en œuvre ?

JF : En Colombie, moins de 1 % des bâtiments verts étaient certifiés écologiques en 2017. Aujourd’hui, 30 % des nouveaux bâtiments du pays le sont, et les cinq principales banques colombiennes proposent des produits hypothécaires verts grâce à cette réduction.

Y a-t-il des régions ou des pays qui se distinguent justement par leur approche innovante du financement de la construction durable ?

JF : Prenons l’exemple des marchés émergents où l’IFC opère. Dans le monde, 50 % des bâtiments qui existeront en 2060 n’ont pas encore été construits. Et cette explosion, pour une question de démographie et de développement, se produira dans les marchés émergents, comme en Inde et en Afrique. Le dernier rapport de l’IFC estime que 3 500 milliards de dollars seraient nécessaires d’ici à 2035 pour décarboner le secteur du bâtiment. Sur ce montant, les marchés émergents représentent 1 500 milliards de dollars. Il est important de se concentrer sur ces marchés en croissance car il est moins coûteux et plus facile de décarboner les nouvelles constructions que de rénover les bâtiments anciens.

Cependant, les deux tiers des bâtiments sur ces marchés sont des logements en autoconstruction à faible coût. Un commerçant indien qui obtient un prêt pour construire une maison de 20 000 dollars ne pourrait pas obtenir de certification de bâtiment écologique traditionnelle, car les coûts de transaction seraient trop élevés, jusqu’à 50 000 dollars, ce qui n’est tout simplement pas réaliste pour une maison de 20 000 dollars Nous avons donc travaillé avec les sociétés de financement du logement indien et réussi à ramener la certification à 50 dollars par maison. Si nous voulons changer la trajectoire des bâtiments écologiques dans le monde, nous devons intervenir tant à la base de la pyramide qu’à son sommet ! Nous espérons pouvoir développer cette innovation dans d’autres territoires, prochainement.

Le dernier rapport de l’IFC estime que 3 500 milliards de dollars seraient nécessaires d'ici à 2035 pour décarboner le secteur du bâtiment.

Pour vous, à quoi ressemble le futur du financement de la construction durable ? 

JF : La tendance sera à l’évaluation des émissions carbone pendant le cycle de vie complet des bâtiments, qui dépendent d’un grand nombre de facteurs : du lieu où l’on construit, du type de bâtiment, de la possibilité de s’y rendre à pied, des matériaux utilisés et des émissions produites lors de la production de ces mêmes matériaux. Les processus de production de ces matières premières, comme le ciment, sont par nature difficile à décarboner, car ce n’est pas qu’une question d’énergie utilisée. Le financement de technologies comme l’hydrogène vert, le captage et le stockage du carbone, qui facilitent cette décarbonation, va fortement se développer dans les prochaines années.

Le financement de technologies telles que l'hydrogène vert et le captage et le stockage du carbone, qui facilitent cette décarbonation, va fortement se développer dans les années à venir.

Implanté à Mexico, capitale du Mexique, Mítikah Ciudad Viva est un ensemble immobilier (logements, bureaux et centre commercial) certifié EDGE, qui a mis en œuvre des mesures lui permettant d’économiser près de 40 % d’eau et 20 % d’énergie. Architectes : Pelli Clarke & Partners. Photo : Jason O’Rear.
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