« Il est essentiel d’analyser les effets d’une rénovation ou d’une construction nouvelle sur l’ensemble du cycle de vie. » Ilari Aho

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Le « glocal » consiste à appliquer les méthodes universelles de la construction durable aux réalités locales : c’est le cas de l’hôtel Parkroyal on Pickering, à Singapour, dont les terrasses s’inspirent de la forme des rizières.

Urbanisation
Point de vue
Durée de lecture : 7 min 7 min
07/08/2023

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Regards croisés d’Oliver Rapf, directeur général du think tank Buildings Performance Institute Europe (BPIE), et d’Ilari Aho, Vice-Président chez European Network of Construction Companies for Research & Development (ENCORD), sur les enjeux de la rénovation et de la construction durables.

Pourquoi rénover plutôt que démolir et reconstruire ?

Oliver Rapf : La réponse commence par une série de questions à se poser concernant le bâtiment : quelle est sa structure d’origine ? Quelle est sa qualité ? Combien doit-on investir pour le rénover ? Ces interrogations doivent être examinées au prisme de l’ensemble de son cycle de vie, afin de bien prendre en compte l’impact climatique des choix qui sont faits, du début du projet jusqu’à sa toute fin. Généralement, le résultat de cette analyse est sans appel : il est préférable de rénover que de démolir et de reconstruire.

Ilari Aho : Je nuancerais tout de même en ajoutant que la (bonne) réponse est très dépendante du contexte, du bâtiment ou de la zone en question. Pour trancher, il est essentiel d’analyser les effets d’une rénovation ou d’une construction nouvelle sur l’ensemble du cycle de vie.

Qui peut vous aider à prendre la bonne décision ?

I. A. : En premier lieu, des experts capables de mener à bien l’analyse du projet sur l’ensemble de son cycle de vie. Associée à l’élaboration de différents scénarios, leur compréhension des données factuelles permet de porter ce regard transversal qui est un préalable pour orienter les politiques et le cadre réglementaire, mais aussi pour mener à bien les projets de construction, quelle qu’en soit l’échelle.

O. R. : Au Buildings Performance Institute Europe (BPIE), nous avons développé un « Passeport de rénovation des bâtiments » dédié à ces projets spécifiques. Cet outil définit les étapes qui seront nécessaires pour « pérenniser » un édifice. Et surtout, il permet de répondre simultanément à un double enjeu : réduire l’impact environnemental du projet et améliorer sa résilience face au changement climatique. Une seule intervention, un seul investissement.

Existe-t-il suffisamment d’experts en « durabilité » ?

O. R. : Pas encore. Et c’est d’ailleurs une réelle opportunité commerciale. Le secteur de la construction est très demandeur de services innovants pour accompagner les propriétaires et promoteurs immobiliers dans leurs démarches de décarbonation.

I. A. : Sur ces sujets, de plus en plus de personnes sont formées et embauchées. D’ailleurs, de nombreux profils compétents sortent des universités aujourd’hui. Je suis plutôt optimiste : ces experts vont s’intégrer de plus en plus naturellement dans les processus de décision des projets de construction.

O. R. : Le paradoxe, c’est que sur le terrain, nous souffrons en parallèle d’une véritable pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Le secteur devra donc investir dans la formation et la montée en compétence des collaborateurs afin de gagner en attractivité. L’innovation et la numérisation peuvent y contribuer.

Avant/Après : rénovation de la Maison de la Culture de Poklad, à Ostrava-Poruba en République tchèque, qui fait partie d’un ensemble de bâtiments datant des années 1950.

En Europe, la plupart des bâtiments actuels ne répondent pas aux normes de construction durable. Que préconisez-vous ? Devrons-nous raser les villes historiques pour tout reconstruire ?

I. A. : Bien sûr que non ! Au contraire. Un édifice utilisé depuis des siècles est par essence beaucoup plus durable qu’un bâtiment construit dans les années 1970 ou 1980. Mais ce qui a changé, c’est la façon dont nous utilisons ces bâtiments. Avec nos équipements électriques, électroniques et l’éclairage artificiel, nous créons une charge thermique interne bien plus importante que par le passé. Les constructions très anciennes sont donc confrontées à un double défi : un changement de climat externe et un changement d’usage interne. Demain, nos quartiers historiques devront être en mesure de résister à des volumes de pluie multipliés par deux, voire trois. Il faudra donc parvenir à améliorer la résilience des villes traditionnelles, sans mettre en péril leur valeur historique et culturelle.

O. R. : En effet, le préalable est de s’assurer que les bâtiments historiques puissent affronter les conséquences du changement climatique en continuant d’offrir aux habitants un environnement sûr et sain, même dans des conditions météorologiques extrêmes. Le chemin à parcourir est long, car certaines zones urbaines sont entièrement recouvertes de revêtements artificiels incapables d’absorber l’eau de pluie. Alors, sans aller jusqu’à démolir les immeubles, il faudra plutôt envisager de construire autrement les infrastructures et les espaces pour renaturer les villes. Pour nos bâtiments, il faut les envisager dans le cadre d’un écosystème plus large, en se demandant ce qu’ils peuvent individuellement apporter à leur environnement immédiat. En effet, un seul bâtiment peut déjà contribuer à améliorer la résilience globale d’un quartier tout entier, par exemple parce que son toit végétalisé saura absorber les excès de pluie. En démultipliant ces adaptations, nous pouvons accroître la résistance de l’ensemble de la ville aux conséquences du changement climatique tout en conservant son âme.

À l’avenir, l’essentiel de l’expansion urbaine se fera en Asie et en Afrique. Comment pouvons-nous faciliter le développement de villes durables dans ces régions ?

O. R. : Les pays du Sud global ont vraiment la possibilité de planifier la croissance de leurs villes de manière beaucoup plus durable que ce qui a été fait au Nord. Ils en ont à la fois les compétences, l’envie et les idées pour y parvenir. La clé de la réussite est de penser local. Les nouveaux bâtiments de ces villes du futur devront être conçus en fonction du climat et de la culture dans lesquels ils s’inscrivent. Ce qui devra passer non seulement par la mise en œuvre de techniques et de solutions traditionnelles, mais aussi par une alimentation énergétique renouvelable et produite à proximité, comme l’énergie solaire.

I. A. : En Asie, nous observons déjà des avancées très concrètes. L’Afrique est dans une situation plus compliquée, mais l’Alliance africaine et le Manifeste africain des villes durables, lancés en 2022 à l’occasion de la COP27 par le World Green Building Council (WGBC), ont pour objectif d’adapter les principes de construction durable à la réalité de ce vaste continent. Ce qui doit passer par un plan de formation des populations, afin que le secteur dispose d’une main-d’œuvre experte des techniques de construction durable, et par le développement de capacités locales de production de matériaux. La bonne nouvelle, c’est que toute une génération de professionnels est en train d’émerger en Afrique. Ils sont les mieux placés pour imaginer les réponses les plus pertinentes.

Le quartier Al Bujairi, dans la vieille ville de Diriyah, à Riyad (Arabie Saoudite). Les pays du Sud Global disposent d’un grand nombre de connaissances et d’idées adaptées à leur propre territoire, comme ici ce pont récent qui traverse les siècles vers la vieille ville.

Quelles sont les erreurs à éviter ?

I. A. : Imaginer que les Européens pourraient concevoir les solutions capables de résoudre tous les problèmes de l’Afrique.

O. R. : Copier ce qui a été fait par les nations occidentales au cours des dernières décennies. Le développement urbain du XXIe siècle devra se différencier fortement de celui du siècle dernier. Les pays du Sud global disposent d’un grand nombre de connaissances et d’idées adaptées à leurs propres territoires. À partir de là, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour les soutenir dans un développement urbain durable.

L’hyperlocal est-il la clé de la ville durable de demain ?

I. A. : La clé, c’est le « glocal », un mélange de global et de local. Des technologies et solutions de pointe partagées avec ceux qui en ont besoin, des transferts de compétences. Il ne s’agit pas de faire « pour » ceux qui ne savent pas encore, mais au contraire de soutenir leur capacité à résoudre les problèmes eux-mêmes, avec des réponses et des expertises locales, d’une façon qui soit adaptée aux contextes culturels, climatiques et sociétaux locaux. Et sur ce sujet, les industries du Nord global ont un rôle à jouer en termes de transfert de connaissances et de technologies.

O. R. : Pour moi, l’éducation est clé. Et c’est clairement une question de volonté politique. Chaque pays doit faire en sorte de disposer de professionnels formés qui animent un secteur de la construction bien équipé, capable de rénover ou concevoir des bâtiments durables et à la portée de toutes les bourses, qui sauront résister à l’épreuve du temps tout en répondant aux besoins des habitants.

Crédits photos: © Saint-Gobain - Architecte : PLATFORMA ARCHITECTI, © Wajedram/Shutterstock

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