Vancouver est devenue un exemple de ville durable. Comment expliquez-vous ce succès ?
George Benson : Je vois trois raisons fondamentales. Un lien très fort avec la terre, que tous les Vancouvérois entretiennent, des peuples autochtones jusqu’aux colons installés plus récemment. Également, une adaptation au passage d’une économie fondée sur les ressources naturelles — touchée par le déclin de l’industrie forestière — à un eldorado du tourisme écolo-urbain, de la high-tech et de l’économie verte. Enfin, un accord politique autour des actions indispensables pour le développement durable et le défi climatique. Voilà près de quinze ans, le gouvernement de la Colombie-Britannique a créé la première taxe carbone d’Amérique du Nord. Cette décision est emblématique du niveau d’acceptabilité de la société et d’une large adhésion à une vision politique qui s’est renforcée au fil du temps.
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Comment avez-vous participé à cette aventure ?
G. B. : Les choses ont démarré avec le plan Greenest City 2020, un challenge initié par le maire de l’époque, Gregor Robertson, en vue de faire de Vancouver, en une décennie, la ville la plus verte du monde pour vivre, travailler et se divertir. J’ai rejoint la VEC pour participer au travail de conception de programmes destinés aux entreprises de technologies propres (conception de produits et solutions visant à réduire l’impact environnemental) et à la promotion des emplois verts : on les retrouve, bien sûr, dans les technologies propres mais aussi dans des secteurs tels que les bâtiments durables, la production locale de nourriture, les déchets, les infrastructures, les assainissements de sols et de l’eau, etc. Vancouver est d’ailleurs la première ville au monde à avoir développé une méthode de recensement des emplois verts au niveau local. Le plan Greenest City 2020 étant désormais terminé, mon équipe et moi-même sommes investis dans la phase suivante et supervisons le plan d’action pour une transition sans émissions (ZEETAP pour Vancouver’s Zero Emissions Economic Transition Action Plan).
De tous les résultats du plan Greenest City 2020, quels sont ceux dont vous êtes le plus fier ?
G. B. : Avant tout, les résultats liés aux objectifs économiques du plan, qui visaient un doublement des emplois verts. Avec une hausse de 87 % en dix ans, les résultats ont dépassé nos attentes. À notre connaissance, aucune autre ville au monde n’a connu une telle croissance. Parmi ces objectifs, nous ciblions également une augmentation du nombre d’entreprises engagées dans un processus de développement durable. Or, leur nombre a quadruplé (de 5 % à plus de 20 %). Ces entreprises plus vertes se retrouvent en grande partie dans la construction de bâtiments, avec un objectif de réduction de l’empreinte carbone et des consommations énergétiques. Leurs efforts incluent la gestion durable des matériaux, la promotion du recyclage, l’agriculture urbaine… D’autres secteurs s’engagent également, tels le transport, le textile, la production de logiciels… Mais les réglementations et volontés politiques seules n’expliquent pas cette réussite. S’y ajoute une prise de conscience par les entreprises elles-mêmes de la nécessité impérieuse de mener ce type d’action. Cela nous facilite la tâche, car nous n’avons pas à convaincre les chefs d’entreprise, simplement à leur demander comment les aider.
Comment décririez-vous la situation économique de Vancouver et les principaux impacts liés à l’économie verte ?
G. B. : Au niveau macroéconomique, au vu de l’augmentation continue du PIB, la situation semble très positive, malgré les inégalités et la crise du logement qui persistent. Nous prenons cela très au sérieux. L’un de nos engagements est l’inclusion économique pour tous. Certes, notre taux de chômage est très bas et les chiffres sont globalement bons, mais nous espérons une prospérité encore plus durable et plus inclusive. Quant à l’économie verte, elle transcende la question de l’innovation, en s’illustrant par des actions très pratiques et simples, comme la réparation. Nous voulons ainsi voir plus de commerces comme des cordonneries dans la ville, nous voulons également que les habitants puissent acheter des produits locaux, d’où la mise en place d’une agriculture urbaine accessible. C’est l’alliance entre l’innovation et les actes de la vie quotidienne qui fonde l’économie verte.
Le plan Greenest City 2020 s’est-il révélé rentable ?
G. B. : Je dirais oui dans l’ensemble. Si vous observez les chiffres du coût social du carbone, entre 180 et 500 dollars canadiens la tonne (soit entre 125 et 340 euros), ces différentes formes de pollution ont un impact financier très important. La diminution des besoins en chauffage et en climatisation dans les bâtiments découle de l’amélioration de leur efficacité et donc de la baisse des coûts d’exploitation. Nous avons également constaté des effets positifs sur la santé. Vancouver est la seule ville d’Amérique du Nord à afficher un taux aussi élevé de recours aux mobilités douces (marche à pied, vélo) et aux transports en commun, qui représentent plus de 54 % des déplacements dans la ville. En corollaire, nos marchandises peuvent circuler de manière plus fluide, sans être bloquées dans le trafic. L’efficacité économique de notre système de transport et de notre programme de mobilité durable est avérée. Au fur et à mesure de l’aggravation des impacts du changement climatique, nous apprécierons encore plus la valeur des investissements.
En quoi le plan Greenest City 2020 a-t-il permis d’atténuer les problèmes de pollution et de gaz à effet de serre ?
G. B. : Les émissions de gaz à effet de serre (GES) de Vancouver ont chuté de 10 % par rapport à la base de référence de 2007 que nous avions établie. Elles sont probablement les plus basses du pays et parmi les plus faibles par habitant en Amérique du Nord. Malgré ce bilan positif, nous savons qu’il reste des marges de progression. Notre objectif vise à les réduire de 50 % d’ici à 2030. Certes, cela représente une forme de pression mais, d’un autre côté, nous subissons actuellement de plein fouet les effets du changement climatique. Vancouver et la Colombie-Britannique ont souffert récemment d’une série d’incendies de forêt et d’inondations. C’est pourquoi l’accord politique qui nous anime tous nous conduit à maintenir, voire à accélérer nos efforts.
Qu’en est-il de la construction durable ?
G. B. : Je pense que c’est l’un des domaines les plus passionnants. Vancouver collectionne les prix pour ses projets de construction innovants. Cependant, nous n’avons pas tout à fait atteint l’objectif fixé, à savoir garantir une neutralité carbone de tous les bâtiments construits à partir de 2020. Nous avons toutefois constaté une diminution de 81 % des émissions, ce qui nous permet d’affirmer que tous les bâtiments édifiés à l’avenir seront neutres en carbone.
Reste le parc plus ancien, pour lequel nous avons adopté récemment plusieurs réglementations qui imposent un système de mesure des émissions, sanctionné par l’obtention de certificats de performance environnementale. Nous disposerons prochainement d’un processus pour nous assurer de la réduction effective des émissions, y compris en dernier recours, par le biais d’amendes. Je suis convaincu que ce ne sera pas nécessaire tant il existe un véritable consensus sur le coût social, sanitaire et financier du carbone.
Quelle est votre vision de l’écologie urbaine pour les années à venir ?
G. B. : Elle est holistique. En ne tenant compte que du PIB et des émissions de GES, nous passerions à côté de la biodiversité, de la santé des habitants et d’autres mesures économiques. Ainsi, le PIB par gigajoule d’énergie utilisée illustre la façon dont nous pouvons envisager l’efficacité globale de notre économie. Quelle est son intensité énergétique ? ? Est-elle efficace dans la manière dont elle utilise l’énergie pour produire de la richesse ? Autant de questions qui méritent une réflexion approfondie. Ensuite, la mise en œuvre doit être partenariale. Elle devrait relever de l’implication de l’ensemble de la société, et non reposer sur la bonne volonté de quelques progressistes. Cette posture s’incarne dans le travail réalisé autour des bâtiments verts. La ville de Vancouver a fixé des objectifs en étroite collaboration avec l’industrie, en vue d’avancer ensemble et de résoudre collectivement chaque problème. À titre d’exemple, sur le sujet de l’électrification des engins de chantier, nous dialoguons avec le gouvernement, l’industrie, les régulateurs et les syndicats.
Pensez-vous que le modèle durable de Vancouver puisse être reproduit ?
G. B. : Je pense que oui. Nous devons tous nous préoccuper de notre eau, notre air, notre énergie, nos bâtiments, de la façon dont nous nous déplaçons, et de celle dont nous vivons. Bien sûr, tous ces éléments sont spécifiques. Mais je crois que le modèle qui consiste à fixer des objectifs audacieux et à les mesurer finement est réplicable. Nous avons été transparents sur nos réussites et nos échecs. Sans forcément rédiger un plan comme l’a fait Vancouver, d’autres villes pourraient s’inspirer de notre approche et de nos mesures, comme notre code du bâtiment durable. Le principe du partage est par ailleurs enthousiasmant, très puissant et utile.
Certaines des actions menées sont-elles spécifiques à des villes similaires à Vancouver ?
G. B. : Copenhague est un bon exemple en termes de carbone incorporé et de travail sur l’économie circulaire. La ville de New York, avec ses codes de construction, dispose d’une législation locale présentant de nombreuses similitudes avec certains travaux que nous effectuons sur nos bâtiments existants. Los Angeles réalise quant à elle un travail sur les emplois verts très proche de ce que fait la VEC. Je citerais également Seattle et Portland, aux États-Unis, mais aussi Yokohama, au Japon, très en pointe, notamment en matière de transport maritime durable.
Vous êtes à présent concentré sur le plan ZEETAP. Quels sont ses principaux enjeux ?
G. B. : Nous avons initié ce plan en 2022, autour de quatre objectifs, et avec la volonté de contribuer à la décarbonation de l’économie de la ville à hauteur de 50 % d’ici à 2030. Le premier objectif consiste à accroître la prospérité générée par les actions en faveur du climat en aidant massivement les entreprises, les salariés et les consommateurs à y parvenir de la manière la moins onéreuse et la plus efficace possible. Le deuxième objectif vise à réduire les coûts de la transition. Le troisième s’attache à encourager les actions volontaristes des entreprises en faveur du climat ainsi qu’une culture du partage lorsque leurs initiatives ont un impact positif. Enfin, le plan ambitionne de nous attaquer aux inégalités, afin que l’équité et la justice fassent partie intégrante de notre action climat. Mais je pense que l’essentiel de nos efforts dans le cadre du ZEETAP consiste à garantir la rentabilité des actions lancées, leur profitabilité pour tous, leur caractère facile et passionnant, et l’amélioration de la qualité induite.
* Ville plus verte. **Vancouver Economic Commission : cette agence externe, certifiée climate-smart, chargée du développement économique de la ville, est responsable de la définition et du suivi des actions du GCAP.
Crédits photos: © Olin Chen/iStock, © ZWC, © PLW Partnership/Courtesy LMN Architects