Transports, déchets, énergie : le trio gagnant de la décarbonation urbaine

Décarbonation
Point de vue
Durée de lecture : 8 min 8 min
16/05/2023

Partager l'article

Pourquoi les villes, majoritairement responsables des émissions de gaz à effet de serre, peinent-elles tant à se décarboner ? Manque de volonté politique ? Manque de moyens ? Quels que soient les obstacles, la solution devra passer par une réponse concertée, réunissant les intérêts de tous : collectivités, entreprises et surtout les habitants. Explications avec Maimunah Mohd Sharif, Secrétaire générale adjointe de l’ONU et Directrice exécutive d’ONU-Habitat
Maimunah Mohd Sharif

Les villes doivent relever le défi du changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles auxquels elles doivent faire face ?

Maimunah Mohd Sharif : En effet, il est important d’agir dans les villes pour lutter contre le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles car elles sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais plusieurs obstacles majeurs les empêchent d’avancer suffisamment rapidement. L’un d’eux est la volonté politique. Ou plutôt le manque de volonté politique. Nous avons besoin d’un leadership et même d’un désir fort pour faire bouger le statu quo. Les politiciens parlent beaucoup de la nécessité de faire quelque chose, mais lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre ces engagements et ces recommandations, c’est plus difficile. Même ceux qui sont prêts à agir n’ont pas suffisamment les moyens d’être audacieux.
J’en viens donc à l’autre obstacle : les villes et les autorités locales ont des ressources limitées et peinent à trouver les fonds nécessaires pour investir dans des initiatives de développement durable.
Enfin un dernier obstacle qui concerne plus particulièrement les villes du Sud Global : les élus ont d’autres défis à relever, d’autres urgences à gérer. J’étais aussi à leur place quand j’étais maire de Penang, en Malaisie. Nous avons souvent eu des inondations, des situations d’urgence, durant lesquelles nous avons dû sauver des gens et trouver des ressources pour reconstruire rapidement des logements. Il n’y avait pas le temps de s’asseoir et de réfléchir à la manière d’attirer des investissements ou de développer des stratégies de développement durable. Nous devions juste rester à flot.

Donc il s’agit plus d’un sujet de stratégie que de façon de vivre dans les villes ?

M. M. S. : De nombreuses villes ont des infrastructures existantes qui ne sont pas conçues pour être durables, ce qui rend la transition vers des sources d’énergie et des méthodes de transport plus propres très difficile. Il faut donc des investissements très lourds pour changer les infrastructures existantes.
Mais il faut aussi rappeler que les villes ne sont pas seulement la source du problème, elles génèrent aussi des solutions.

Dans cette démarche, les collectivités travaillent main dans la main avec les entreprises. Mais comment mesurer l’efficacité de celles-ci ?

M. M. S. : Pour surmonter les obstacles dont nous avons parlé il faut un effort concerté des gouvernements, des élus, des résidents et des entreprises. C’est pourquoi ONU-Habitat parle de solutions multilatérales qui nécessitent une coordination horizontale et verticale, à différents niveaux, tant avec le secteur public que privé. Tout cela sans jamais perdre de vue le destinataire final. Je n’ai jamais géré d’entité à but lucratif, mais j’ai géré des villes qui ont besoin d’attirer des entreprises pour créer des emplois, et générer des revenus pour améliorer les villes. Je me suis rendu compte que dans tout ce que nous faisons, nous devons garder l’esprit ouvert. Nous avons besoin d’une évaluation indépendante. Dans une entreprise ce sont les actionnaires qui remplissent ce rôle, dans la gestion de la ville, c’est la société civile. La question importante est « Où nos intérêts se connectent-ils ? Comment nos actions profitent aux personnes que nous servons et aux clients qui assurent la rentabilité des entreprises » ? Nous ne pouvons y parvenir que si nous nous engageons véritablement auprès des communautés locales pour comprendre leurs besoins et leurs préoccupations. De cette façon, notre produit ou notre service sera toujours pertinent.

Ce partenariat public privé ne fait-il pas peur aux usagers ?

M. M. S. : Sans résultats mesurables, nous ne serons pas en mesure de convaincre les parties prenantes et les actionnaires. Il ne faut pas avoir peur d’embrasser l’innovation et le progrès technologique. C’est une façon pour les entreprises d’améliorer leurs interactions avec les communautés locales. L’intelligence artificielle, de nouvelles façons d’interagir directement avec les individus, progresse à une vitesse vertigineuse. Si vous respectez les droits de l’homme, cela créera plus d’interactions productives. Et nous en avons besoin pour nous différencier, de l’artificiel, de la mécanique et de certaines technologies qui elles changent notre façon de vivre. Après tout, les entreprises sont également composées de personnes.

Maintenant passons aux choses concrètes. Quelles sont les 3 choses à changer en priorité en termes d’urbanisme et de gouvernance, afin d’atteindre nos objectifs de décarbonation et d’économie circulaire à l’échelle de la ville ?

M. M. S. : Comme je l’ai mentionné précédemment, la réalisation des objectifs de décarbonation et d’économie circulaire dans les villes nécessite une approche holistique de la planification et de la gouvernance urbaines. Par approche holistique, j’entends une collaboration efficace à tous les niveaux. Les trois domaines sur lesquels nous pouvons nous concentrer peuvent être ceux-ci. Premièrement, le transport durable. Pour parvenir à la décarbonisation, les villes doivent donner la priorité aux options de mobilité alternatives telles que les transports en commun, le vélo et la marche. Cela peut se faire en investissant dans les infrastructures nécessaires à ces modes de transport.
Deuxièmement, les stratégies zéro déchet. En 2020, le monde a généré 2,24 milliards de tonnes de déchets solides municipaux, dont 45 % ont été mal gérés. Nos modes de production et de consommation actuels nuisent à l’environnement et à la santé humaine. Nous devons adopter des approches circulaires qui maintiennent les matériaux en usage aussi longtemps que possible et minimisent les déchets. Pour y parvenir, les villes ont besoin de stratégies zéro déchet qui privilégient la réduction, la réutilisation et le recyclage des déchets. Cette année, en collaboration avec notre agence sœur, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, nous avons lancé la première Journée internationale zéro déchet.
Enfin, les énergies renouvelables. Les villes peuvent leur donner la priorité en mettant en œuvre des politiques qui encouragent l’adoption de panneaux solaires et d’éoliennes, en investissant pour soutenir ces technologies et en s’associant à des entreprises d’énergie renouvelable pour fournir une énergie propre aux résidents. En donnant la priorité à ces trois domaines, les villes peuvent faire des progrès significatifs vers la création d’un meilleur avenir urbain pour tous.

Crédits photos: © Heatherwick_EDEN_©Hufton+Crow_014.jpg

×