La Colombie accueille à Cali (Colombie) la 16 e conférence mondiale sur la diversité biologique (COP16) de l’ONU, avec pour thème, Faire ou être « en paix avec la nature ».L’occasion d’interviewer l’architecte colombien Agustín Adarve Gómez, précurseur de l’architecture bioclimatique et du développement durable : son cabinet « Natural Cooling » développe les systèmes de refroidissement naturel depuis 1980 et a réalisé plus de trente projets dans le monde entier certifiés par le « US Green Building Council ». Avec plus de 40 ans d’expérience dans la recherche, la conception et l’application de systèmes de climatisation naturels avancés et l’utilisation de l’énergie solaire et éolienne, il appelle à une refonte des pratiques architecturales.
Qu’est-ce qui vous a convaincu il y a plus de 40 ans de vous consacrer à l’architecture bioclimatique et quelle définition en donnez-vous ?
Je souhaitais apporter des solutions aux familles les plus démunies qui n’avaient pas accès à l’air conditionné ou à l’eau potable et développer une architecture adaptée aux climats tropicaux comme celui de mon pays, la Colombie.
Alors que j’étais encore étudiant, j’ai conçu un projet pour le village de pêcheurs de Punta Canoa près de Carthagène [une ville située sur la côte nord de la Colombie], qui permettait de répondre aux besoins de fraîcheur en recourant à des systèmes de ventilation naturelle. Les maisons ont été bâties avec les ressources locales – blocs en terre, paille -, les vents et la végétation permettaient d’apporter la fraîcheur et l’ombrage. Et un distillateur alimenté par l’énergie solaire générait de l’eau potable.
J’ai dû toutefois à l’époque batailler pour faire comprendre qu’il fallait recourir à d’autres solutions qu’à l’air conditionné.
Je souhaitais apporter des solutions aux familles les plus démunies qui n’avaient pas accès à l’air conditionné ou à l’eau potable et développer une architecture adaptée aux climats tropicaux comme celui de mon pays, la Colombie.
L’architecture bioclimatique vise le confort et le bien-être : elle s’appuie sur le recours à la ventilation naturelle et sur la maximisation de l’éclairage naturel ; elle recherche l’inertie thermique et l’optimisation de l’orientation des bâtiments pour profiter de l’énergie solaire. Avec les systèmes de ventilation naturelle, que l’on peut d’ailleurs associer à l’air conditionné mais dans une proportion très réduite par rapport aux systèmes classiques, les besoins en énergie des bâtiments peuvent être réduits de 30 %, et ainsi les coûts pour l’usager final peuvent être sensiblement diminués tout en améliorant son bien-être. Le retour sur investissement ne dépasse pas cinq ans, ce qui apporte un gain important aux investisseurs financiers comme aux usagers.
Jusqu’à -30 % de dépenses énergétiques grâce à la ventilation naturelle d’un bâtiment.
Vous expliquez que les bâtiments peuvent apporter confort et bien-être. Cela nécessite-t-il une refonte des pratiques classiques de l’architecture ?
Avec l’augmentation des températures de plus de 2°C, une refonte des pratiques architecturales est nécessaire : il faut intégrer de nouvelles demandes énergétiques et une nouvelle conception du confort en lien avec l’évolution du climat. Les bâtiments doivent être autre chose que de gros blocs vitrés fonctionnant à l’air conditionné.
Le thème de l’architecture bioclimatique a été largement documenté avec l’architecture vernaculaire [conçue en adéquation avec le territoire dans lequel elle se trouve], les mouvements alternatifs des années soixante-dix, le mouvement écologique des années quatre-vingt et les bâtiments économes en énergie du début du XXIe siècle. À présent, le défi du réchauffement climatique nous oblige à nous engager tous ensemble dans une conception bioclimatique responsable, c’est-à-dire appliquée, rigoureuse, avec des résultats réels, innovants et surtout reproductibles à l’avenir au bénéfice des nouvelles générations. Avant, à l’image de Le Corbusier, on dépendait du génie d’un seul architecte. Désormais, on doit favoriser la collaboration des acteurs de la construction dans un processus itératif. La conception même des bâtiments doit tenir compte des interactions entre les différents acteurs pour obtenir les solutions les plus efficientes.
Avant, à l’image de Le Corbusier, on dépendait du génie d’un seul architecte. Désormais, on doit favoriser la collaboration des acteurs de la construction dans un processus itératif.
Grâce à l’application de l’architecture bioclimatique, les bâtiments peuvent devenir plus qu’un simple toit ou un refuge, plus qu’un élément qui fait partie du paysage ou de l’espace que nous partageons. Ils peuvent respirer, protéger, illuminer, produire et apporter confort et bien-être. Pour cela, ils doivent être notamment dotés d’une peau adaptée, qui diminue les apports solaires tout en produisant de l’énergie, en intégrant par exemple des panneaux photovoltaïques.
Il est à noter que les bâtiments vertueux permettent d’obtenir auprès des établissements financiers des bons carbone, c’est-à-dire d’avoir un retour intéressant du point de vue fiscal. En outre, les investissements additionnels qu’il faut consentir pour assurer la durabilité d’un immeuble, par exemple en choisissant des vitrages à haute performance énergétique plus onéreux mais beaucoup plus efficaces que les vitrages classiques, peuvent être récupérés dans la mesure où ces bâtiments vont générer tout au long de leur exploitation des économies d’énergie.
Votre pays, la Colombie, accueille à Cali du 21 octobre au 1er novembre 2024 la COP16, le sommet sur la biodiversité de l’ONU. Le secteur de la construction peut-il, selon vous, jouer dans les prochaines années un rôle moteur dans une meilleure prise en compte du Vivant ? Et si oui, en réalisant quels types de progrès ?
Forte d’une diversité exceptionnelle d’espèces et d’écosystèmes, des Andes à l’Amazonie (oiseaux, plantes, orchidées, papillons, poissons d’eau douce et amphibiens), mon pays, la Colombie, se mobilise pour le développement durable et la protection de la biodiversité, notamment avec l’appui du Conseil colombien de la construction durable (CCCS) dont je fais partie. Des politiques fiscales intéressantes sont mises en place pour favoriser les bâtiments vertueux.
Le secteur de la construction peut en effet favoriser une meilleure intégration du vivant. Les façades des bâtiments ne doivent pas constituer un danger pour les oiseaux : il n’est d’ailleurs pas possible d’obtenir la certification Leed si le vitrage d’un bâtiment est réfléchissant comme un miroir au point que les oiseaux risquent de s’écraser à la surface.
Nous pouvons lutter contre les îlots de chaleur tout en préservant la biodiversité en mettant en place des toitures végétalisées, en faisant la part belle aux aménagements paysagers et aux parcs au cœur des villes. Sur une toiture végétalisée, les insectes peuvent s’installer, les abeilles peuvent venir butiner. À l’inverse, les toitures à base d’asphalte vont générer une énorme surchauffe or les abeilles sont, par exemple, très sensibles au rayonnement solaire. Les toitures végétalisées permettent aussi de récupérer et de traiter les eaux de pluie et de réduire ainsi les risques d’inondation comme de pollution de l’air. De même, l’aménagement de parcs urbains favorise le retour de la nature en ville et la préservation de la biodiversité. Et faire une large place à la végétation permet aussi de mieux capturer le CO2.
Quelles sont les villes qui vous semblent être les plus exemplaires en matière de respect de la faune et la flore ?
La ville de Cali où se déroule la COP 16, dans le sud-ouest de la Colombie, est une cité extraordinaire, forte d’une biodiversité très riche. Le jardin botanique de Cali est un exemple de conservation de la faune et de la flore, un véritable sanctuaire. Cali a notamment développé les systèmes de récupération de l’eau des rives et des rivages et favorisé le traitement des déchets.
Au Brésil, la ville de Curitiba suit elle aussi un développement urbain exemplaire en assurant un équilibre entre le bâti et la végétation. La ville ne compte pas moins de 48 parcs et de 13 millions de m2 de végétation naturelle au point que les espaces verts représentent 60 m2 par habitant (soit cinq fois plus que le minimum recommandé par l’Organisation mondiale de la santé). Les transports publics sont particulièrement développés avec plus de 300 lignes de bus roulant au biodiesel depuis 2010 et couvrant plus de 1000 km de terrain, réduisant d’autant la pollution liée au parc automobile.
En Australie, à Melbourne comme à Sidney, les acteurs de la construction ont pour leur part comme ils l’ont documenté au PLEA, l’acronyme de « Passive and Low Energy Architecture », appuyé le développement de l’urbanisme durable en recourant notamment à des tissus arborés issus des essences locales pour réduire les effets d’îlots de chaleur.
De son côté, le US Green Building Council a lancé la certification « LEED for Cities and Communities » qui vise à aider les dirigeants locaux à créer et à mettre en œuvre des plans responsables et spécifiques de gestion de l’énergie, de l’eau, des déchets et des transports, afin de réinventer la manière dont les villes et les communautés sont planifiées, développées et exploitées dans le but d’améliorer leur durabilité et la qualité de vie.
Quel rôle les architectes peuvent-ils jouer dans ces urbanisations plus vertueuses ?
Les architectes peuvent jouer un rôle d’intégration en faisant de la durabilité la base de toute conception. Trop longtemps les architectes ont visé le beau, l’esthétique. Il faut changer de paradigme. L’architecture doit être plus flexible, plus durable. La conception de l’enveloppe des bâtiments doit être particulièrement travaillée, les matériaux adaptés en choisissant ceux qui bénéficient de déclarations environnementales, les solutions thermiques doivent être soigneusement étudiées, la ventilation naturelle privilégiée. Ainsi une tour peut être conçue de manière à évacuer la chaleur aisément par l’effet de cheminée et les espaces intérieurs optimisés afin de favoriser l’éclairage naturel. Il faut aussi rechercher un équilibre entre les vitrages et l’isolation. La beauté doit être le résultat de la durabilité.
Trop longtemps, les architectes ont visé le beau, l’esthétique. Il faut changer de paradigme.
Comment concilier ces enjeux avec d’autres urgences comme l’accès à un logement décent pour tous ?
On peut travailler l’architecture bioclimatique sous différents aspects : les bâtiments commerciaux, les bâtiments institutionnels et le logement. Les logements durables sont socialement profitables à tous. Réaliser des logements sociaux assurant qualité de vie et espace n’est pas forcément plus onéreux d’autant que les établissements bancaires peuvent souvent bénéficier de subventions croisées pour les construire.
J’ai assuré la conception et la construction de logements sociaux dans un village tropical isolé, appelé Utica, qui avait été détruit par un glissement de terrain. J’ai pu réduire sensiblement les coûts dans la mesure où je n’ai pas eu recours à l’isolation thermique et simplement à des tôles métalliques très simples adaptées au climat tropical humide. L’architecture bioclimatique permet de mettre à disposition des personnes modestes des logements mieux adaptés car mieux ventilés. Un projet très satisfaisant qui m’a à nouveau donné l’opportunité de transformer en réalité mes rêves d’étudiant.
L’exemple mis en avant par Agustín Adarve GómezLe cabinet d’architecture Natural Cooling a apporté à l’architecte et designer américain William Mc Donough l’appui technique pour réaliser le siège de l’université EAN à Bogota. Le bâtiment est doté d’une façade dynamique à double peau et de tours thermostatiques composées de tubes en plexiglas et de lucarnes solaires passives. Ce faisant, le projet associe à la fois des systèmes de ventilation passive et de contrôle solaire, intégré à l’injection d’air. Le design avant-gardiste de la tour permet de maximiser les économies d’énergie dans les salles de classe, les espaces communs et le centre sportif.
Pour aller plus loin, consultez l’ouvrage d’Agustín Adarve Gómez : « L’architecture bioclimatique, une expérience de vie »
Crédits photos: © William McDonough + Partners