Lorsqu’elle propose, en 1987, une définition du développement durable, la Première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland n’imagine pas à quel point cette référence va s’installer dans les consciences à l’échelle planétaire. En le qualifiant de « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », Mme Brundtland met fin au manichéisme opposant jusqu’alors deux visions du monde. Celle des partisans d’une croissance économique effrénée, seule porteuse de progrès pour le bien de tous, et celle des adeptes d’une décroissance comme seule alternative à la mondialisation des échanges, néfastes aux grands équilibres naturels. Cette définition a instauré une nouvelle explication du monde et une anticipation de son avenir, avec pour priorités le dialogue et l’équilibre.
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De durable à durabilité
Depuis 1987, le mot « durable » est un des adjectifs les plus utilisés au monde en dépit de traductions diverses qui ont suscité quelques controverses (« sustainable » ayant donné « soutenable »). Quant à la définition du développement durable, elle s’est enrichie jusqu’à résumer ses ambitions dans les 17 objectifs (ODD) définis par l’ONU à l‘horizon 2030. Allant même jusqu’à intégrer d’autres critères correspondant au bien-être et à la santé, à l’équité sociale, au financement, à la transition énergétique pour lui redonner un sens plus pragmatique. C’est là où la « durabilité » entre en jeu, autrement dit la capacité à faire ou à être, venant concrétiser la démarche sur le terrain. Les différences d’interprétation dont elle fait l’objet sont en réalité tributaires de leur domaine d’application.
Les « 4 R » :
repenser, réduire, réutiliser et recycler.
À chaque domaine sa définition
La construction durable, par exemple, combine performance et durabilité : tout au long de son cycle de vie, elle contribue positivement à la santé et au bien-être des personnes, présente une empreinte réduite sur l’environnement et délivre une valeur économique et une qualité supérieure. Pour le World Green Building Council (WGBC) , « cette approche holistique du développement durable doit être appliquée tout au long du cycle de vie d’un bâtiment – de l’approvisionnement en matériaux à la conception, la construction, l’exploitation et la fin de vie ». Dans une approche plus élaborée de la durabilité, les missions des professionnels du bâtiment dépassent alors le seul cadre de la décarbonation du secteur.
Le CO₂, critère majeur de la durabilité ?
Indicateur incontournable de la durabilité, le CO₂ a permis de faire entrer le développement durable dans une perception plus concrète. C’est même devenu une valeur d’échange sur les marchés financiers à travers les ETS (Emissions Trading Schemes). Cet indicateur s’est par ailleurs musclé dans une perception plus affinée de sa création et de ses impacts. À travers le prisme du Whole Life Carbon , deux types d’émissions de CO₂ se distinguent : un carbone opérationnel émis par les bâtiments, relatif à l’énergie consommée pour leur exploitation, et un carbone incorporé (embodied) qui correspond à l’empreinte carbone des produits et matériaux utilisés pour construire, maintenir et rénover ces bâtiments. Ces énergies « grises », invisibles, regroupent toutes celles dépensées et consommées pour créer un matériau, l’emballer, le transporter vers les sites de distribution, le stocker, le distribuer, le vendre, l’utiliser, l’entretenir…, puis le recycler lorsqu’il est en fin de vie.
Un prélèvement à la ressource
Sur la base d’évaluations de plus en plus précises, le champ d’investigation de la durabilité s’étend au-delà de l’impact carbone pour intégrer d’autres paramètres tout aussi importants. À commencer par la préservation des ressources naturelles renouvelables (le bois…), partiellement (l’eau) ou pas du tout (sable, pétrole, gaz, charbon). Toutes ont pour point commun au départ d’être gratuites, seules leurs extraction et transformation ayant un coût. Les implications de la notion de durabilité ont dès lors des conséquences économiques, sociales et environnementales qui provoquent une réaction en chaîne. La circularité en est une déclinaison pratique lorsqu’on évoque la conception, la production, l’usage et la fin de vie d’un produit, avec sa traduction dans le secteur du bâtiment par les « 4 R » : repenser, réduire, réutiliser et recycler. Une philosophie qui imprime aujourd’hui l’ensemble des démarches de construction et de recherche. Ainsi, le projet Energy House 2.0 de l’université de Salford, à Manchester, teste des solutions de construction dans des conditions météo extrêmes afin de les adapter au changement climatique tout en réduisant leur empreinte carbone.
Un exemple de construction durable : La house of music de Budapest
Préserver et améliorer la qualité de vie
Les enjeux sont tels que la durabilité prend de l’ampleur avec une nécessaire symbiose de paramètres qui dépassent largement la préservation des ressources ou la réduction des émissions de carbone. La biodiversité en fait partie. Les modes de vie citadins devront à terme intégrer le non-humain – flore, faune, éléments naturels – dans les conceptions urbaines. La végétalisation des quartiers comme des bâtiments semble ainsi impérative pour faire face aux températures extrêmes. Et cela va encore plus loin en associant la durabilité à la qualité de vie. Une approche plus humaine permet notamment de prendre soin des personnes en matière de confort, de bien-être et de santé. L’accès à l’eau potable, la lumière naturelle, la réduction des bruits, la qualité de l’air font partie d’une vision revisitée en faveur d’un habitat plus inclusif. Une vision plus respectueuse également des conditions de travail des professionnels du bâtiment permet d’éviter la manipulation de substances dangereuses ou trop lourdes. La finance elle-même s’intéresse désormais aux investissements éco-responsables. Malgré des coûts de construction parfois un peu plus élevés, le bâtiment durable est aussi plus rentable grâce à des revenus locatifs plus élevés, une facture énergétique allégée, des coûts de maintenance réduits. Sans compter le bénéfice induit de l’amélioration de la qualité de vie sur les dépenses de santé. La définition de la durabilité ne serait pas complète si elle n’incluait pas la préservation des ressources culturelles. L’habitat, les villes, les territoires sont l’incarnation d’une culture, de modes de vie différents du Nord au Sud. L’approche de cette notion peut prendre des couleurs différentes si l’on se trouve à Séoul, à Londres, ou bien à Buenos Aires. Un mot pourrait rassembler les différentes conceptions de la durabilité sous une même bannière : la responsabilité.
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