Réduire l’empreinte environnementale de la construction dans les Suds

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La maison multi-confort à basse consommation et énergie positive à Lanseria, près de Johannesburg (Afrique du Sud), est un élément de référence mondiale en faveur de l’Habitat durable.

Urbanisation
Décryptage
Durée de lecture : 7 min 7 min
12/12/2023

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La généralisation de la construction durable dans les pays du Sud global est vitale, tant l’expansion urbaine devrait y être fulgurante. Déjà, les attitudes, pratiques et méthodes changent. Reste à lever les ultimes entraves, de l’application peu rigoureuse des normes de construction à l’évolution des mentalités.

Notre planète ne cesse de s’urbaniser et les villes de s’agrandir. Un phénomène particulièrement visible dans les pays du Sud global (également appelés les Suds*). Selon le Programme des Nations unies pour les établissements humains (Onu-Habitat), leur superficie augmentera de 34 % en cinquante ans (par rapport aux niveaux de 2020) dans les aires économiques à revenu élevé et surtout de 141 % dans celles à faible revenu. Face à l’impératif de loger des flux importants de nouveaux citadins et de créer, ou redimensionner des parcs immobiliers tertiaires, s’impose le lancement de nombreuses constructions dans les Suds. Avec une priorité : les rendre aussi bas carbone que possible. 

Si les grandes villes d’Asie connaissent la plus forte croissance démographique, plusieurs villes d’Afrique, comme Kinshasa (République démocratique du Congo), verront leur population multipliée par 100 entre 1950 et 2030. (©FNSP – Sciences Po, Atelier de cartographie, 2018).

Jouer la carte locale

Les villes doivent innover en termes de construction et de bâtiments pour réduire leur empreinte environnementale, tout en offrant une qualité de vie décente et en soutenant l’activité économique. L’un des enjeux de l’Objectif de développement durable 11, de l’Agenda 2030 de l’Onu, concerne spécifiquement les pays des Suds pour qu’ils construisent « des bâtiments durables et résilients en utilisant des matériaux locaux ».

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Dans l’idéal en effet, les matériaux de construction durables devraient être sourcés localement, pour éviter les émissions liées au transport. C’est le cas en Thaïlande, comme l’explique Bundit Pradabsook, commissaire de l’Association des architectes siamois sous patronage royal. Selon lui, l’utilisation de matériaux de cloisons sèches, comme le gypse dans les immeubles de grande hauteur, peut faire économiser à leurs occupants jusqu’à 27 % sur leur facture de climatisation : « Si l’on compare au mètre carré, le coût du transport des cloisons sèches est plus faible, car elles sont six fois plus légères que les murs en béton préfabriqué. »

Ce recours aux matériaux locaux et traditionnels s’observe également dans le cône sud d’Amérique latine, modifiant quelque peu la forme et la conception des projets. L’adobe (ou terre compactée) se substitue ainsi aux blocs de béton. Avec un bémol : ce matériau requiert un entretien fréquent, plus adapté aux maisons et logements – car les murs épais créés par l’adobe sont économes en énergie – qu’aux constructions verticales et à usage commercial.

« La construction durable suscite un intérêt grandissant et se pratique crescendo. »Dario Ibargüengoitia, président fondateur de Sustentabilidad para México

Mlondolozi Hempe, spécialiste sud-africain de la performance des bâtiments, est lui aussi convaincu de la montée en puissance des matériaux légers et durables, comme le bois. Pour autant, il pointe l’exigence d’un changement de mentalité pour une pleine acceptation et application de la construction durable. Pas de quoi perturber son écho croissant, porté dans des ouvrages officiels tel le Manuel de construction intelligente de la ville du Cap. De son côté, le Guide architectural de l’Afrique subsaharienne fournit idées et solutions en s’appuyant sur 850 bâtiments du continent. Quant à Rebuilding 101 manual: rebuilding strategies for Haiti, publié après le tremblement de terre de 2010, il prodigue conseils et méthodes adaptées aux zones exposées aux séismes et aux ouragans.

La terre crue, comme l’adobe (ou terre compactée), ou les briques de terre cuite forment une alternative au béton dans l’habitat individuel. Elles composent la moitié des maisons dans le monde.

Faire équipe entre les Suds et les Nords

Les solutions de construction durable développées dans les Suds sont souvent partagées avec les nations voisines, confrontées à des problèmes similaires. C’est le cas d’innovations technologiques écoresponsables conçues en Colombie et mises en commun avec le Brésil, indique Dario Ibargüengoitia, président fondateur de Sustentabilidad para México, pour des programmes de logements sociaux dotés de critères de haute performance environnementale. Si la même démarche a été tentée entre pays africains et asiatiques, il déplore un manque de collaboration intercontinentale entre Suds. À une exception : «En dépit d’une réglementation spécifique, l’Inde engage des actions étonnantes et se montre ouverte à une forme d’hybridation de ses réalisations. »

À l’heure de la mondialisation, les idées des Nords atteignent très rapidement les Suds, et vice-versa, générant une innovation inspirée voire une réinterprétation de solutions technologiques grâce à des ressources locales. Un bon exemple de coopération Sud-Sud et Sud-Nord concerne l’impression 3D, souvent plus durable que la construction traditionnelle. Tvasta, jeune entreprise créée à Madras, en Inde, conçoit des technologies d’impression 3D béton combinant une approche futuriste et la culture de « l’Ancien Monde ». Après avoir signé une collaboration avec Saint-Gobain en 2021, Tvasta a conclu en 2022 un partenariat stratégique national avec Indian Cements, en vue d’élaborer une formule de ciment plus durable.

La TM Tower de Kuala Lumpur (Malaisie), achevée en 2003, illustre, grâce à son système autonome de climatisation, la prise de conscience des pays des Suds de la nécessité de construire durable. © Holger Kleine / Alamy

Favoriser le recours à des solutions durables

Moins bien dotés financièrement que les Nords, les Suds disposent d’une capacité d’investissement plus faible dans des écomatériaux et des mécanismes passifs souvent plus coûteux à l’achat. Là où les matériaux de construction non durables sont moins chers ou plus faciles à obtenir, comme le bois exploité illégalement, promouvoir l’option la plus favorable à l’environnement se révèle difficile. Des solutions existent, telles que les Déclarations environnementales de produits (EPD) et l’Initiative pour des obligations climat (CBI). Cruciales pour les certifications de construction durable, « telles que LEED, BREEAM, HQE, etc., les EPD sont de plus en plus prisées des investisseurs et promoteurs, estime Dario Ibargüengoitia. Quant à la CBI, seule organisation à se dédier à la mobilisation d’un marché obligataire de 100 000 milliards de dollars US pour les projets durables, elle soutient et encourage l’économie verte dans toute l’Amérique latine. »

141%

C’est l’augmentation estimée de la superficie des villes des Suds d’ici à 50 ans (vs 2020), selon l’ONU-Habitat.

Et si les coûts des travaux étaient pris en charge par une organisation caritative ou une ONG, à l’image du projet Kuyasa, banlieue de Khayelitsha, plus grand township du Cap, en Afrique du Sud ? Dès 2006, les autorités de la ville et l’ONG SouthSouthNorth (SSN) ont commencé à rénover 2 300 maisons du programme Reconstruction et développement (RDP), en installant des chauffe-eau solaires à geyser, des systèmes d’éclairage à basse consommation et en isolant les plafonds. Résultats, une réduction d’émissions de CO2 attendue sur une période de vingt et un ans (2,85 teCO2/maison/an), des conditions sanitaires améliorées par la prévention des maladies respiratoires et une baisse de près de 40 % des dépenses énergétiques. Un réel coup de pouce pour l’économie locale, avec la création annuelle de 100 emplois pour l’installation des infrastructures.

Une question de formation

La construction durable suscite un intérêt grandissant et se pratique crescendo, comme le souligne Dario Ibargüengoitia. Selon lui, même si la société latino-américaine n’a pas encore totalement intégré la notion de décarbonation, la tendance est à des espaces économes en énergie, plus sains, bien ventilés et offrant un bon confort thermique. Notamment en Amérique centrale et du Sud, et dans les grandes métropoles comme São Paulo, Buenos Aires et Mexico. 

Le continent sud-américain, comme l’Amérique centrale s’inscrivent dans la recherche d’un meilleur confort thermique. À l’image de São Paulo (Brésil), où les espaces verts contribuent au refroidissement du bâtiment.

Mieux sensibiliser à la construction durable passera à l’avenir par davantage d’investissement dans la formation des populations des Suds. Si les Suds comptent encore peu d’architectes et d’ingénieurs en bâtiment1 initiés à la durabilité sociale d’un projet, des organismes tels que le Centre de formation en architecture durable en Argentine et le Centre de formation aux métiers du Développement durable2, au Maroc, tentent d’y remédier. Ce dernier, construit en terre et en bois, veut unir le savoir-faire traditionnel et les technologies modernes. Quant au réseau Ella, basé au Pérou, il dispose d’une communauté d’apprentissage consacrée aux meilleures pratiques et méthodologies pour la création de villes capables de résister au changement climatique. 

La construction durable dans les Suds n’est pas une idée nouvelle – la première pierre du gratte-ciel économe en énergie TM Tower de Kuala Lumpur, en Malaisie, a été posée en 1998. Mais des ressources financières limitées et des règles d’urbanisme contraignantes freinent toujours sa montée en puissance dans ces pays où règne une forte volonté – et un besoin encore plus grand – de multiplier les concepts durables et les projets qui en découlent.

* La définition du terme « Sud global » reste floue tant elle fait référence à un groupement de pays très hétérogène : Inde, Brésil, Afrique du Sud, Arabie saoudite, Indonésie, Égypte, Mexique, Argentine, etc. Pour le représenter sur une carte du monde, traçons une ligne qui s’immisce entre le Mexique et les États-Unis, sépare l’Afrique de l’Europe, englobe au sud le Moyen-Orient (à l’exception de la Turquie), puis court sous le Kazakhstan et la Russie avant de plonger pour éviter la Corée du Sud, le Japon et Taïwan ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande » (source : RFI, septembre 2023).

1. Improving Socially Socialy Sustainable Design and Construction in Developing Countries (Procedia Engineering, volume 145, 2016, p.288-295)
2. Centre de formation aux métiers du Développement Durable, Ville nouvelle de Chwiter, Maroc

Crédits photos: ©Gyproc ©FNSP - Sciences Po, Atelier de cartographie, 2018 © ChristiLaLiberte / iStock © Holger Kleine / Alamy © Travel-Fr

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