Regards d'architectes sur la construction durable

Regards d'architectes :
« Il est crucial d’éduquer les professionnels et les étudiants aux enjeux de la construction durable. »

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L’exemple de construction durable emblématique choisi par Prof. Feng Deng : « CopenHill » inauguré en 2019 à Copenhague (Danemark), allie innovation technologique, performance environnementale et dimension sociale et éducative. Usine capable de traiter les déchets urbains et de les convertir en énergie propre, « Copenhill » est aussi un refuge récréatif et éducatif pour les citadins puisque son toit est aménagé en zone de loisirs. Conçu par le cabinet d’architecture BIG (Bjarke Ingels Group).

Urbanisation
Point de vue
Durée de lecture : 6 min 6 min
18/09/2024

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Les architectes sont au cœur des évolutions de nos habitats et des dynamiques de durabilité qui bouleversent aujourd’hui le secteur de la construction. Par leurs visions plurielles et innovantes, ils inspirent, mobilisent et questionnent, pour faire bouger les lignes. La série « Regards d’architectes sur la construction durable » leur donne la parole.
Prof. Feng Deng est architecte mais aussi directrice du design d’un espace collaboratif chinois dédié à l'émergence d'une architecture plus innovante (l'Atelier Sharing Architecture du cabinet TJAD).

Professeure associée au département d’architecture de l’Université de Tongji (Chine), Prof. Feng Deng est spécialisée dans les bâtiments écologiques, passifs en énergie et bas carbone pour l’habitation résidentielle et communautaire. Animée par l’importance de la rencontre des enjeux environnementaux et d’un nouveau design architectural durable, elle nous livre sa vision de l’architecture.

Selon vous, quels sont les trois challenges auxquels le secteur de la construction doit faire face en Asie, et particulièrement en Chine, pour accélérer l’adoption de pratiques plus durables ?

L’un des principaux défis du secteur du bâtiment en Asie est la transformation des procédés de construction traditionnels. Beaucoup d’industriels et de promoteurs y sont encore très attachés, rendant difficile l’implantation de nouvelles pratiques plus durables. Sur ce point, il est crucial d’éduquer les professionnels et les étudiants aux enjeux de la construction durable pour faire évoluer les mentalités et accélérer la transition.

Il est crucial d’éduquer les professionnels et les étudiants aux enjeux de la construction durable pour faire évoluer les mentalités et accélérer la transition.

Autre problématique, la pression des coûts. Aujourd’hui encore, l’investissement initial pour construire avec des technologies ou des matériaux durables reste souvent plus élevé. Il s’agit d’une question essentielle, et c’est pourquoi la conception de bâtiments durables nécessite un soutien ou des subventions de la part des pouvoirs publics et des politiques. Par exemple sous la forme d’un assouplissement approprié des normes de calcul de la surface de construction ou des indicateurs de ratio de surface de plancher (FAR), afin d’encourager les acteurs du secteur de la construction à adopter rapidement des modèles plus durables.

Ce qui m’amène à mon dernier point. La construction souffre d’un besoin accru d’implémentation, par le gouvernement et les institutions financières, de réglementations et de standards de construction, plus aboutis. Si un cadre réglementaire existe aujourd’hui en matière de construction durable, il y a encore des difficultés quand il est question de le mettre concrètement en pratique. Car l’utilisation et la gestion réelles du bâtiment après sa construction, ne remplissent pas les engagements environnementaux. Un système de post-évaluation de la durabilité des bâtiments serait nécessaire pour garantir une cohérence de la démarche durable sur tout le cycle de vie du bâtiment.

Un système de post-évaluation de la durabilité des bâtiments serait nécessaire.

Pouvez-vous nous partager un exemple de projet architectural récent particulièrement emblématique en matière de construction durable ?

Le projet « CopenHill » à Copenhague, au Danemark, conçu par le cabinet BIG (Bjarke Ingels Group) est un exemple brillant. Il s’agit d’une usine de valorisation énergétique des déchets, capable de traiter les déchets urbains et de les convertir en énergie propre, fournissant ainsi électricité et chauffage à toute la ville. En convertissant les déchets en énergie, l’usine réduit l’utilisation des décharges traditionnelles et les émissions de gaz à effet de serre. En plus de produire de l’électricité, « CopenHill » utilise la chaleur excédentaire de la combustion des déchets pour le chauffage urbain, améliorant ainsi l’efficacité énergétique.

« En tant qu’espace combinant des installations industrielles durables et un refuge récréatif et éducatif pour les citadins, « CopenHill » sert de plateforme promotionnelle pour la construction durable. »

Le toit du bâtiment est conçu comme une zone de loisirs, offrant au public des activités telles que le ski, la randonnée et l’escalade. En tant qu’espace combinant des installations industrielles durables et un refuge récréatif et éducatif pour les citadins, « CopenHill » sert de plateforme promotionnelle pour la construction durable en sensibilisant les habitants de Copenhague. Une belle preuve que l’architecture durable peut être à la fois respectueuse de l’environnement, améliorer la qualité de vie et esthétiquement réussie.

L’architecture durable peut être à la fois respectueuse de l’environnement et attrayante.

L’architecture devrait-elle faire sa révolution ? Si oui, comment ?

Face au changement climatique, à l’épuisement des ressources naturelles et à la pollution, l’industrie de la construction, grand consommateur de ressources et d’énergies, doit engager un changement révolutionnaire de ses habitudes pour atteindre les objectifs de développement durable. La conception architecturale traditionnelle néglige souvent la conservation des ressources et leur recyclage, ce qui entraîne une consommation élevée d’énergies et de matériaux, incompatible avec nos nouveaux standards. De plus, de nombreux bâtiments traditionnels peuvent ne pas offrir un environnement suffisamment sain pour répondre pleinement à l’évolution des attentes en termes de qualité de vie et de santé.

Le secteur de la construction doit laisser derrière lui la vision désuète de conquête de la nature, pour revenir à une approche plus humaine et humble, qui pense le bâtiment en symbiose avec son environnement.

La révolution du secteur doit donc naturellement passer par un changement de philosophie, en laissant derrière elle la vision désuète de conquête de la nature, pour revenir à une approche plus humaine et humble, qui pense le bâtiment en symbiose avec son environnement. C’est d’ailleurs cette posture qui a été adoptée par les étudiants de l’Université de Tongji dans le cadre de leur participation à l’Architectural Student Contest 2024.

Prof. Feng Deng a supervisé la participation à l’Architectural Student Contest 2024 de l’équipe d’étudiants de l’Université de Tongji (Chine). Leur projet “Minimal Lab” illustre sa vision : « Nous choisissons une intervention minimale sur les paysages afin de protéger l’essence du site »

Une philosophie nouvelle qui, pour aboutir, doit voir se normaliser l’utilisation de nouveaux matériaux et technologies plus durables, pour améliorer l’efficacité énergétique et la durabilité des bâtiments. Systèmes de Smart Building, matériaux recyclés et écologiques ou intégration systématique des énergies renouvelables… les alternatives durables pour la construction sont nombreuses et n’attendent plus qu’une politique réglementaire incitative, et un plaidoyer éducatif de sensibilisation à destination des professionnels et architectes, pour prendre de l’ampleur.

Les alternatives durables pour la construction sont nombreuses et n’attendent plus qu’une politique réglementaire incitative et un plaidoyer éducatif de sensibilisation pour prendre de l’ampleur.

Prochain Regard d’Architecte :Thomas Rau, fondateur de RAU architecten (Pays-Bas)

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